Avion : le crash du climat ? - Osons Comprendre

Avion : le crash du climat ?

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Ah l'avion ! Il fait rêver, voyager aux 4 coins de l'humanité. Mais quel est son impact sur le climat ? Peut-on continuer la croissance incroyable du secteur aérien sans aller vers un crash climatique ?

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Points clés

  • L’humanité n’a jamais autant pris l’avion. De 1950 jusqu’au Covid, le trafic aérien doublait tous les 15 ans. Malgré des progrès dans l’efficacité des avions – dont les émissions de CO2 par passager ont été divisées par 20 depuis l’après-guerre – l’avion reste un secteur très émetteur de carbone. Le seul CO2 du kérosène brûlé par les avions est responsable de 2.1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

 

  • Ce chiffre, vous le verrez fréquemment repris par l’industrie aéronautique. Il faut savoir qu’il est loin de compter tous les effets de l’aviation sur le réchauffement climatique. Si on ajoute au CO2 du kérosène, les autres gaz à effet de serre émis pendant la combustion, les émissions induites par l’extraction, le raffinage et le transport du carburant (émissions qu’on appelle “amont”) et l’effet réchauffant des traînées de condensation, ces nuages laissés par les avions dans certaines conditions météorologiques, on obtient un tout autre tableau. Tout compris, l’avion a émis presque 2 Gt d’équivalent CO2 en 2018 soit 4.1 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

 

  • 2 Gt de gaz à effet de serre, c’est l’équivalent des émissions de 55 % des voitures, motos et bus utilisés dans le monde. Tout ça pour un mode de transport encore réservé aux plus privilégiés. Seul 1 humain sur 10 a pris l’avion en 2018. Cette moyenne mondiale cache des inégalités importantes : dans les pays pauvres, seuls 0.7 à 3 % de la population a volé dans l’année. Ces inégalités face à l’avion se retrouvent dans les pays riches. En France par exemple, on ne retrouve que 2% d’ouvriers parmi les voyageurs.

 

  • Si l’avion représente 4 % des émissions mondiales, dans les pays riches qui volent beaucoup, la part de l’aviation s’envole. En France par exemple, l’aviation correctement comptée (tous GES, amont, traînées et vols internationaux inclus) est responsable de 8.6 % des émissions nationales de gaz à effet de serre.

 

  • Une autre manière de prendre conscience de l’impact de l’avion sur le climat c’est de comparer les émissions d’un voyage en avion aux émissions soutenables d’un individu. Un aller-retour Paris-New York – correctement compté – émet 1.5 tonnes d’équivalent CO2. Cela représente une part importante du budget carbone individuel soutenable, fixé par l’accord de Paris à 1.8 – 2.6 tonnes de CO2. Devenir végétarien, pratiquer le zéro déchet, diviser par deux sa consommation de vêtements et de produits high tech permet d’économiser 1.6 tonnes d’équivalent CO2. Les émissions de notre AR Paris-New York suffisent à balayer de nombreux efforts individuels de réduction de son empreinte carbone.

 

  • On le pressent, l’aviation est trop émettrice pour être soutenable. A l’échelle mondiale, les experts du Shift Project et du collectif SupaéroDécarbo ont calculé qu’à technologie égale et à croissance du trafic inchangée, l’aviation aura émis en 2050 plus de 2.5 fois son budget carbone compatible avec les 2°. Et ils ne comptent même pas l’effet réchauffant des traînées de condensation. A l’échelle française c’est encore pire, le cabinet BL Evolution a calculé que les seules émissions annuelles (bien comptées) de l’aviation en 2050 (125 Mt CO2e) excéderaient de beaucoup le budget carbone fixé par la Stratégie nationale bas carbone pour toute l’économie française (80 Mt CO2e). Il est donc urgent de “décarboner” l’aviation ou d’en limiter le trafic.

Sources et références

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1) Le vrai impact de l’avion sur le climat

 

L’aviation est une industrie qui a connu une énorme croissance depuis ses débuts dans les années 50.

C’est simple, le trafic aérien double tous les 15 ans. Les attentats du 11 septembre, la crise de 2008, aucune de ces crises n’a ralenti durablement cette ascension à vitesse grand V. De 2009 à 2019, juste avant le Covid, le trafic mondial a même été multiplié par 2 en 10 ans seulement. Cette croissance sous stéroïde, à plus de 4%/an, avait de quoi faire exploser les émissions de gaz à effet de serre de l’aviation.

Heureusement, la consommation de kérosène des avions a aussi beaucoup diminué Entre 1950 et 2018, les émissions de CO2 par passager et par kilomètre ont été divisées par 20.

Les moteurs ont été améliorés pour baisser leur consommation, les avions sont devenus beaucoup plus légers grâce aux matériaux composites, et aussi, tout bêtement, le taux de remplissage des avions a beaucoup progressé.

Grâce à tous ces gains d’efficacité énergétique, l’impact climatique de l’aviation a grimpé moins vite que le trafic. Mais il a quand même sacrément grimpé !

Durant les 30 dernières années, les émissions de CO2 du kérosène brûlé dans les avions ont été multipliées par 2, pour atteindre un peu plus d’une gigatonne de CO2 en 2018, soit 2,1% des 48.9 Gt d’émissions mondiales de gaz à effet de serre (affectation des sols incluse).

Ce chiffre de 2,1% des émissions mondiales, c’est le préféré de l’industrie aéronautique et des fans de l’avion.

Le truc, c’est que ce chiffre est loin de mesurer l’impact réel de l’aviation sur le réchauffement climatique.

Lorsqu’on ajoute tous les autres gaz à effet de serre que le CO2 qui sont émis pendant le vol, les émissions de CO2 pour produire, raffiner et transporter le kérosène et l’effet réchauffant des traînées de condensation laissées dans le ciel par les avions, on obtient l’impact réel global de l’aviation sur le climat.

En réalité, en 2018, l’aviation était responsable à elle toute seule de quasiment 2 gigatonnes d’équivalent CO2 soit 4,1% du réchauffement climatique.

2 Gt, c’est plus de la moitié des 3.6 Gt de CO2 émis par les pots d’échappement de toutes les voitures, toutes les motos et tous les bus du monde additionnés.

 

 

2) L’avion reste très inégalitaire

 

A votre avis, sur une année, quelle proportion de l’humanité prend l’avion au moins une fois ?

On a trouvé une étude toute récente, de 2020, avec plein d’infos passionnantes sur les inégalités face à l’avion. Elle est riche d’enseignements.

 

1 humain sur 10 seulement a pris l’avion en 2018, avant le covid donc. Cette moyenne mondiale à 11 % cache des inégalités entre les pays du monde, selon leur niveau de revenu.

 

Dans les pays riches, 40% des gens ont pris l’avion dans l’année. C’est seulement 10% pour les pays intermédiaires supérieurs comme la Chine, le Brésil ou la Turquie. C’est 3% pour les intermédiaires inférieurs, comme l’Inde, l’Algérie ou la Côte d’Ivoire. Et dans les pays pauvres, des pays comme l’Afghanistan, Madagascar ou la Syrie, l’avion ne concerne pour ainsi dire personne. C’est seulement un ridicule 0.7% de la population qui a pris l’avion dans l’année.

 

Même dans les pays riches, l’avion reste largement l’apanage de gens aisés. D’après une grande enquête menée en 2016 dans les aéroports français sur plus de 40.000 personnes (p.9), il n’y aurait 2% d’ouvriers parmi les voyageurs. Si on ajoute les employés à 22%, ça nous donne moins d’un quart des voyageurs parmi les classes populaires. Alors que ces mêmes catégories représentent 45 % de la population.

 

Un chiffre résume l’extraordinaire inégalité de la pratique de l’avion.

Aujourd’hui, 1% des humains, les 70 millions de gens qui prennent le plus l’avion, seraient responsables à eux seuls de la moitié des émissions de l’aviation.

 

On comprend que l’aviation cause donc 4% du réchauffement climatique surtout pour les habitants des pays riches, et pour les quelques dizaines de millions de personnes qui volent très souvent.

 

 

3) l’impact de l’avion sur le climat en France

 

Quelle part des émissions françaises est causée par l’aviation ?

Pour avoir la bonne réponse, il faut faire attention. Souvent, on peut trouver un chiffre tout petit. L’avion ne causerait que 1.6% des émissions du pays.

Si vous tombez sur ce chiffre, il faut savoir qu’il ne compte pas du tout l’impact réel de l’avion en France. Il ne compte que les vols domestiques, les Paris-Marseille, les Nice-Strasbourg, mais ne compte pas du tout les vols internationaux.

Les grands accords internationaux sur le climat, de Kyoto à l’accord de Paris, prévoient que les Etats ne comptent pas les vols internationaux dans leurs émissions nationales. Les vols internationaux sont comptés à part, avec les émissions du transport maritime international, dans une catégorie dont aucun Etat n’est responsable.

 

Heureusement, dans ses rapports, la Direction générale de l’aviation civile, la DGAC, ajouter aux vols domestiques la moitié des émissions des vols internationaux.

D’après eux, en 2019 l’avion, c’est 23 Mt CO2 2, 5,4% des 436 Mt de CO2e qu’a émis la France cette année.

 

Les chiffres de la DGAC  ont 2 défauts : ils ne comptent que le CO2 et surtout ils oublient les traînées de condensations.

Si on les ajoute, on trouve que les émissions totales de l’aviation, avec notre part des vols internationaux, tous les GES et l’effet réchauffant des traînées de condensation, bah l’avion représente en réalité  à lui tout seul  un peu plus de 40 Mt d’équivalent CO2 soit 8.6% des émissions de la France. C’est énorme !

Et encore, ce chiffre ne compte pas les émissions de  la production, du raffinage et du transport du kérosène – ce qu’on appelait l’amont. On les a écartées du calcul parce qu’on ne sait pas si elle sont réalisées en France ou ailleurs.

Donc 8.6%, c’est un minimum. Avec l’amont, on pourrait être encore au dessus, à 9-10%

 

 

4) Un vol en avion, ça émet un paquet !

 

Pour savoir combien émet un vol en avion, il faut consulter le calculateur de référence en France : celui de la DGAC.

On a cherché combien émettent des trajets de différentes distances : un long courrier – le fameux Paris-Nex-York- un moyen courrier – un Paris-Lisbonne – et un “court courrier”, un Paris-Marseille.

Ce calculateur prend bien en compte tous les gaz à effet de serre, les émissions de l’amont, mais il oublie les traînées de condensations. Si on les ajoute, voilà combien émettent chacun de nos AR.

Le Paris New-York c’est 1500 kg d’équivalent CO2, le Paris Lisbonne c’est 400 kg et le Paris Marseille c’est 250 kg.

Pour notre vol court, le Paris- Marseille, un moyen simple de réaliser ce que représentent ses 250 kg d’équivalent CO2, c’est de regarder combien ça émet de faire le même trajet en TGV.

Après tout, pour des vols de ce genre de distance, il existe TRÈS souvent une alternative en train. Un aller-retour Paris-Marseille en TGV, c’est pas 250 mais 2.6  kg d’équivalent CO2. Soit 100 fois moins qu’en avion !!

Vous voyez que sur des petites distances, le choix de l’avion est lourd pour le climat.

 

Pour les vols plus longs, il existe rarement une alternative en train. Pour se rendre compte de ce que représentent les émissions d’un aller-retour en avion, on a choisi de les mettre en face de “petits gestes” qu’on peut tous faire pour diminuer notre empreinte carbone .

Imaginons quelqu’un qui veut avoir une consommation hyper “responsable”, “durable”. Notre ami “écoresponsable” passe une année dans une démarche 0 déchet : il n’utilise plus du tout d’emballages, plus du tout de jetables. Cette même personne divise par 2 sa conso de produits high tech et achète aussi 2 fois moins de vêtements. Et last but not least, notre ami qui mangeait de tout arrête complètement de manger de la viande et du poisson et devient végétarien..

Toutes les émissions économisées en 1 an grâce à ces actions vertueuses pour le climat elles sont balayées par un seul voyage à New-York !

Pouf !! Tous ces efforts sont annulés, le bilan carbone de cette personne est exactement le même qu’un Français moyen qui n’a pas pris l’avion.

 

 

5) La croissance de l’aviation est-elle soutenable ?

 

A l’échelle individuelle, vous devez déjà pressentir que l’avion n’est pas top du tout pour notre empreinte carbone.

Un voyage à New-York représente déjà 13.5 % des 11.2 tonnes qui forment l’empreinte carbone moyenne d’un Français en 2018.

Tout le monde sait bien qu’aujourd’hui notre mode de vie n’est pas soutenable du point de vue climatique. Selon les engagements de l’accord de Paris signé en 2015, l’empreinte carbone “soutenable” d’un humain en 2050 devrait être comprise entre 1.8 et 2.6 t CO2 pour maintenir le réchauffement climatique sous les 2°.

Par rapport à ce seuil soutenable, on voit tout de suite que notre aller-retour, à New-York ou même à Lisbonne, ne laisserait quasiment plus de place pour toutes les autres activités : se chauffer, se nourrir, construire les routes, les hôpitaux etc.

 

A l’échelle globale, quand on voit l’aviation à 4 % des gaz à effet de serre on peut se dire que, finalement, l’aviation ne joue pas une rôle si décisif dans le réchauffement climatique. C’est oublier l’immense croissance du trafic !

Ça fait des dizaines d’années que le trafic aérien progresse de + de 4% par an – ce qui veut dire, concrètement, que le trafic double tous les 15 ans. Alors certes, comme vous le voyez, le Covid a mis un coup d’arrêt à cette croissance mais les industriels sont optimistes, ça va repartir ! 🙂

Voilà les prévisions de Boeing : un trafic qui aura doublé par rapport à 2019 quelque part autour de 2035 ! On retrouve notre bonne vieille croissance de 4 % / an ! 🙂

QUESTION : Cette croissance du trafic est-elle compatible avec les budgets carbone qui nous permettraient de maintenir le réchauffement climatique sous ou autour des 2° ?

 

Les experts du Shift project et les ingénieurs du collectif Supaéro Décarbo ont tenté de répondre précisément à cette question dans leur rapport “Pouvoir voler en 2050”, sorti en mars 2021.

Leur réponse est sans appel. Si l’aviation continue de croître au rythme de 4% par an jusqu’à 2050 et qu’elle le fait “sans rien changer” avec les meilleurs avions et les meilleures pratiques d’aujourd’hui, bah on va droit dans le mur

Les émissions cumulées de CO2 de l’aviation d’ici à 2050 seront 2.6 fois supérieures au budget carbone “avion” compatible avec un réchauffement climatique sous les 2°

Et ça….. sans la prise en compte des traînées de condensations, que vous commencez à bien connaître 🙂

 

Un autre cabinet d’expertise climat, B/L évolution a fait en 2020 le même genre de travail de projection pour la France. Leur travail tient compte de l’effet réchauffant des traînées de condensation.

Le résultat (pp. 60-62) : si le trafic augmente comme prévu pour la France, de 2,7%/an, et sans amélioration supplémentaire des avions, les émissions totales de l’aviation (domestiques ET internationales) atteindraient 125 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2050.

Pour comparaison, le budget carbone prévu par la Stratégie Nationale Bas Carbone pour la France entière en 2050, c’est 80 millions de tonnes

 

Ça veut dire que, si on compte correctement les émissions et que rien ne change, dans 30 ans, l’aviation à elle toute seule, émettra peut-être plus que toute l’économie française.

On voit que prolonger la tendance de l’explosion du trafic sans diminuer radicalement les émissions des avions, ça nous mènerait tout droit vers le crash climatique, ruinant totalement les maigres espoirs de rester proche des 2° de réchauffement.

Mais évidemment, tout ça c’est “si on ne change rien” et vous vous en doutez, l’aviation a de nombreux projets pour poursuivre la décarbonation de l’aviation et éviter le crash.