80 % de nos lois sont-elles imposées par l'Union européenne ? - Osons Comprendre

80 % de nos lois sont-elles imposées par l'Union européenne ?

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Des eurobéats comme des eurosceptiques ont repris cet adage. Mais est-il vrai ? Dans cette vidéo, on est allé vérifier et on s'est rendu compte que le pouvoir de l'UE sur notre politique n'est peut-être, après tout, pas qu'une question de chiffre.

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Points clés

  • “80 % des lois françaises viennent de l’UE” est une déformation d’un pronostic de Jacques Delors. En 1988, alors président de la Commission européenne, il a déclaré ““Vers l’an 2000, 80 % de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, sera décidée par les institutions européennes”.
  • En France, 24 % des lois votées entre 1999 et 2008 comportaient au moins un article appliquant une directive ou un règlement européen. Si on regarde les articles de lois, la proportion appliquant un texte européen tombe à 7 % des articles de lois votés sur la période.
  • Même les secteurs les plus impactés par les lois européennes – l’agriculture, l’économie, l’écologie ou les transports – ne comptent qu’entre 45 et 65 % de lois mentionnant dans au moins un article un texte européen. A l’inverse, les secteurs de la défense, des affaires étrangères ou de l’éducation sont complètement épargnés de toute influence européenne.
  • Cela dit, les données concernant la France sont anciennes. Elles datent d’avant l’application du traité de Lisbonne (janvier 2009). Ce traité a approfondi et élargi les compétences de l’UE. Il est donc probable que ces proportions aient augmenté. Il faudrait des études plus récentes sur le cas français pour le confirmer.
  • Qu’on compte par articles, par lois ou par secteurs, le pronostic de Jacques Delors n’est pas confirmé par les faits.
  • Cela dit, un point de vue purement quantitatif (le pourcentage de lois) ne suffit pas à mesurer l’impact des décisions européennes sur le droit français. Une seule directive peut tout changer. C’est le cas de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie qui a considérablement bouleversé la politique énergétique de la France, appuyée sur des monopoles publics (EDF et GDF).
  • De même, un point de vue quantitatif ne mesure pas l’influence des traités européens. Les dispositions économiques qu’ils contiennent (libre circulation des capitaux, 3 % de déficit, indépendance de la banque centrale, etc.) ont une influence considérable sur les budgets et les lois votées par les Etats nations.

Sources et références

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Le chiffre de 80 % : un pronostic de Jacques Delors abondamment repris.

 

L’adage “80 % des lois françaises viennent de l’UE” trouve son origine dans une déclaration de Jacques Delors, alors président de la Commissions européenne, à la fin des années 80.

Il l’aurait prononcé à diverses reprises, mais l’extrait le plus cité (ici, ici et ) est celui d’une phrase prononcée en 1988 : “Vers l’an 2000, 80 % de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, sera décidée par les institutions européennes”.

Depuis, cette affirmation a été reprise abondamment tant par des europhiles que par des eurosceptiques (ici, ici et encore ).

Notons qu’ils ne se sont pas contentés de reprendre les mots de Jacques Delors, ils les ont déformés.

Ce n’était plus une prédiction sur le futur (“sera décidée”) mais une affirmation factuelle sur le présent (“80 % des lois qui sont votées à l’Assemblée nationale sont la transcription de directives européennes”, Marine Le Pen, octobre 2017). Ce n’était plus non plus une prédiction qui concerne seulement le secteur de l’économie mais une affirmation générale sur le total des lois votées à l’échelon national.

 

Combien de lois “viennent de l’UE” en France ? L’étude de Terra Nova

 

Pour mettre le pronostic de Delors à l’épreuve des faits, il fallait trouver des études qui mesurent précisément, sur le cas français, l’influence des directives et règlements européens sur les lois nationales.

La littérature nous donnait le choix entre une étude de 2011 écrite par les politistes Sylvain Brouard, Olivier Costa et Eric Kerrouche (“Are French Laws Written in Brussels? The Limited Europeanization of Law-Making in France and Its Implications”) et l’étude de Terra Nova (“Normes européennes, loi française : Le mythe des 80 %”) publiée en 2010 par Matthias Fekl et Thomas Platt (oui, il s’agit bien de l’éphémère ministre de l’Intérieur de la fin du quinquennat de François Hollande).

Nous avons retenu l’étude de Terra Nova pour deux raisons :

D’une part, les données qu’elle fournit couvrent une année supplémentaire (2008 pour Terra Nova VS 2007 pour l’étude Brouard and al.). De plus, la méthodologie retenue par l’étude de Terra Nova est plus précise. Ils regardent, à l’intérieur de chaque loi votée en France, le nombre d’articles de lois qui mentionnent une directive ou un texte européen. Elle permet donc d’entrer plus dans les détails et d’avoir une vision plus précise de l’influence de l’Union Européenne sur les lois votées en France.

 

Quels sont les résultats de l’étude de Terra Nova ?

 

Commençons par étudier la part des lois françaises dont au moins un article applique une directive ou un règlement européen. Nous vous résumons dans le graphique ci-dessous les données que vous trouverez à la page 12 de l’étude de Terra Nova.

 

On y voit que la proportion de lois “venant de l’Union Européenne” a pas mal varié et légèrement augmenté entre 1999 et 2008. La moyenne sur la période est de 24.36 % des lois françaises qui mentionnent, dans au moins un article, une directive ou un règlement européen.

 

Regardons maintenant plus précisément, article de loi par article de lois.  Nous vous résumons dans le graphique ci-dessous les données que vous trouverez à la page 16 de l’étude de Terra Nova.

 

Ici on voit que la proportion moyenne chute beaucoup pour arriver à 7.35 % d’articles de lois “venant de l’UE”.

 

Rappelons-nous que le pronostic de Jacques Delors ne concernait que les secteurs économiques. Il n’a jamais dit que les lois régulant tous les secteurs viendraient, en moyenne, à 80 % de l’UE. L’étude de Terra Nova nous donne cette répartition par secteurs à la page 18. Nous la reproduisons ci-dessous.

 

La prédiction de Delors, même dans le secteur économique (48 %), n’a pas été validée par les faits. Même le secteur le “plus européeanisé”, l’agriculture, plafonne à 63 % des lois votées entre 1999 et 2008 dont au moins un article mentionne une directive ou un règlement européen.

 

Quelle que soit la manière de compter, la dernière étude pour la France est sans appel : on est bien loin des “80 % des lois françaises qui viennent de l’UE”.

 

Qu’en est-il dans d’autres pays européens ?

 

On pourrait se dire, soit, Delors s’est trompé sur le cas de la France. Mais peut-être avait-il raison pour le Luxembourg ou l’Allemagne ?

 

Voici un tableau qui fait la synthèse des données pour plusieurs pays européens que fournit l’ouvrage “The Europeanization of Domestic Legislatures: The Empirical Implications of the Delors’ Myth in Nine Countries” paru en 2011.

Les résultats – qui agrègent différentes méthodologie pour compter les “lois d’origine européenne” – donnent donc des résultats convergents avec l’étude de Terra Nova sur la France.

 

Les données sont anciennes. Quels indices de l’évolution depuis 2008 ?

 

Les données françaises s’arrêtent en 2008. Elles n’ont donc pas pu intégrer les modifications issues du traité de Lisbonne, signé en 2007 mais entré en vigueur le 1er janvier 2009. Le traité de Lisbonne prévoit d’élargir les domaines d’actions de l’UE et d’impliquer davantage le Parlement européen dans tous les processus de décision.

Il est donc raisonnable de penser que, depuis 2008, la proportion de lois et d’articles de lois “venant de l’UE” a du augmenter. De même, certains secteurs, jusque là peu concernés par le droit européen, ont pu voir la proportion de lois “venant de l’UE” augmenter.

 

Malheureusement, il n’existe, à notre connaissance, aucune étude sur la France nous donnant des données postérieures à 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Nous en avons trouvé une qui étudie en profondeur le cas allemand jusqu’à 2013. Voici le graphique qui résume (en bleu) la part des lois allemandes venant de l’UE entre 1999 et 2003.

 

Que voyons nous ? On voit que, à partir de 2009, la moyenne de lois venant de l’UE (en rouge) à fait un bond de 12.5 points de pourcentage par rapport à la moyenne 1999 – 2008 (en jaune).

 

On peut donc raisonnablement penser que, en France aussi, la proportion de lois et d’articles de lois venant de l’UE a augmenté après 2008 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Malheureusement, à notre connaissance, il n’existe aucune étude pour le confirmer.

 

L’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie.

 

L’ouverture à la concurrence des marchés de l’énergie a été engagée dès 1996, avec l’adoption d’une première directive européenne concernant l’électricité, suivie en 1998 d’une directive sur le gaz. Ces directives originelles ont été complétées en 2009.

 

Ces directives prévoient que les opérateurs historiques français (EDF et GDF) allaient perdre le monopole de la distribution d’électricité et de gaz, d’abord pour les entreprises puis pour les particuliers. La mise en concurrence a été progressive. L’agence nationale d’information sur l’énergie “énergie-info” a produit un super schéma pour illustrer cette mise en concurrence.

 

Cette mise en concurrence progressive, prévue dès la fin des années 90, a été organisée par plusieurs lois nationales. Une des dernières en date est la loi dite “Nome” votée en 2010.

La loi “Nome” prévoit, pour satisfaire les exigences de la Commission européenne en matière de concurrence sur le marché de la distribution de l’électricité, un mécanisme particulier : l’AREHN (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Kesako ?

 

L’AREHN garantit aux fournisseurs alternatifs d’électricité  (Engie, Direct Energie, Leclerc, Uniper, etc.) le droit d’acheter 100 TWh d’électricité produite dans les centrales nucléaire “historique” à un prix fixe de 42 € le Mwh, qui n’est pas le prix du marché. Les fournisseurs, qui se comportent alors comme des courtiers de bourse, achètent ces TWh au prix plancher de 42 € quand le prix du marché est supérieur et, bien entendu, se fournissent sur le marché de gros de l’électricité quand le prix est inférieur.

L’esprit de l’AREHN est d’assurer une saine concurrence entre EDF (l’opérateur historique) et les fournisseurs alternatifs en empêchant qu’EDF seule bénéficie de la “rente” qu’est le nucléaire historique. En effet, le coût des centrales nucléaires françaises a déjà été amorti et ces centrales permettent de produire de l’électricité tout le temps à des prix très peu élevés. Sans l’AREHN qui leur garantit ce prix plancher de 42 € le MWh, les fournisseurs alternatifs ne seraient pas en mesure de concurrencer EDF sur la distribution.

 

On voit donc que la directive électricité de 1996, par sa seule décision d’ouvrir à la concurrence le marché de l’électricité, a eu des conséquences immenses et très précises. Au nom de cette injonction à la concurrence, le législateur français a accepté de permettre à tous les fournisseurs alternatifs de spéculer au dépend d’EDF qui ne peut plus vendre sa production d’électricité à son prix de marché.

 

Les traités européens : un super cadre pour les politiques nationales.

 

Impossible de traiter cette question cruciale, complexe et touchant de multiples domaines en seulement quelques paragraphes. Heureusement, des articles très pédagogiques (et bourrés de références bibliographiques utiles) existent pour nous aider à défricher ce terrain. En voici deux :

 

La première référence provient, une nouvelle fois, de l’excellent site des professeurs en sciences sociales de l’Ecole normale supérieure de Lyon. Dans leur article “Les réformes budgétaires dans la zone euro”, ils expliquent extrêmement bien comment, depuis le traité de Maastricht de 1992 jusqu’aux évolutions récentes, l’Union Européenne a construit une politique de supervision et de rigidité budgétaire dans la zone euro.

 

Ensuite, vous avez cet article d’Edwin Le Héron, un économiste spécialiste de la monnaie et de la Banque centrale européenne, sur le site des Économistes atterré (une association d’économistes “hétérodoxes” ou “de gauche”). Il répond à la question “Pourquoi l’Etat ne peut plus se financer directement par des emprunts d’Etat?”. Dans sa réponse, vous apprendrez beaucoup sur l’indépendance de la Banque centrale européenne et sur l’interdiction des emprunts d’Etat, toutes deux prévues par le Traité de Maastricht. Cette vidéo, où Edwin Le Héron présente son ouvrage A quoi sert la Banque centrale européenne, est un excellent complément.

 

Avec ça, vous aurez de quoi faire en attendant nos vidéos spécifiquement consacrés aux traités, à l’Euro et au cadrage des budgets publics par l’Union Européenne.