Mais où va le climat ? Le réchauffement climatique, on en entend parler tous les jours sans savoir sur quelles trajectoires le monde s'embarque. Cette vidéo passe en revue les différents scénarios et apporte une thèse forte : 2 scénarios improbables doivent être abandonnés.
Dans toutes cette vidéo, nous nous sommes appuyés sur le travail du Climate Action Tracker un site internet et une association qui compile de nombreuses informations sur les émissions de gaz à effet de serre et les scénarios climatiques.
Les scénarios présentés proviennent de la page “Températures” de leur site mais, si vous lisez l’anglais, nous vous invitons à regarder les autres pages qui ne manquent pas d’intérêt. Voici le graphique qui présentent les différents scénarios d’émissions et de réchauffement climatique durant tout le XXIème siècle.
Le scénario qui nous occupe ici est le scénario de référence, appelé ici “baseline” mais parfois trouvable sous le nom “business as usual”. Ce scénario projette un monde qui “continuerait comme avant”, où on fait du “business comme d’habitude”.
Pour construire ce scénario de référence, l’équipe du CAT indique avoir suivi les trajectoires données par le 3ème groupe de travail du GIEC 2014. Si vous voulez avoir plus d’information que la trajectoire décrite sur le graphique, je vous invite à consulter la ligne “ >1000 RCP8.5” du tableau page 32 du résumé au décideurs en français.
Dans ce scénario de référence, non seulement nos émissions ne baissent pas, mais à l’inverse elles continuent à augmenter. D’ici à 2100, le scénario de référence prévoit une multiplication par 2 ou 3 des émissions pour atteindre entre 100 et 180 GtCo2e.
Résultat des courses, avec de telles émissions on arriverait en 2100 à un réchauffement du climat compris entre 4.1° et 4.8°.
Certains modèles climatiques ultra récents, dont deux réalisés par des équipes en France montrent même que si on suit cette trajectoire, avec les incertitudes liées au système climatique, ça pourrait même monter jusqu’à 6-7°. Autant dire que ce monde serait invivable pour une grande partie de l’humanité.
Ce scénario “de référence” ressemble à s’y méprendre à un scénario apocalyptique dont les conséquences sont popularisées par de nombreux articles de presse. Les “+7+8° (ou ici) , c’était ce scénario, compté en mode max. Les “NYC sous les eaux, encore lui” (ou ici ou là encore) , les “55° à Lille en 2050”, encore lui.
D’abord, suivre cette trajectoire demanderait de brûler des quantités astronomiques de pétrole, de gaz et de charbon.
Dans la deuxième moitié du siècle, quand le pétrole et le gaz se feront plus rares, il faudrait brûler jusqu’à 4.8 fois plus de charbon qu’aujourd’hui (page 29). Et comme le charbon est l’énergie fossile qui émet le plus de CO2, c’est son utilisation forcenée qui permet au scénario de référence (appelé dans le graph ci-dessous “RCP8.5”) de parvenir aux niveaux d’émissions astronomiques de 100 – 150 – 180 GT de CO2e par an !
De plus en plus de chercheurs spécialistes des ressources minières affirment qu’il n’y a sûrement pas assez de charbon d’exploitable pour en utiliser autant que ces modèles le prévoient. En réalité, la quantité de charbon utilisable a été grandement surestimée. Ces 20 dernières années par exemple, malgré une forte demande et des prix assez hauts, l’estimation des réserves de charbon exploitables à baissé de deux tiers.
Le scénario de référence surestime donc le charbon disponible d’un multiple compris entre 2 et 3. Cette surestimation rend le scénario de référence (noté RCP8.5) très peu probable. Des chercheurs estiment que, faute de charbon, le scénario de référence n’a que 12 % de chance de se réaliser. Nous ne pourrons pas réchauffer autant la planète.
Alors, c’est déjà une excellente nouvelle pour le climat, mais à la limite on pourrait encore se tromper. On pourrait se rendre compte dans 10-20 ans qu’avec tel ou tel progrès technique, on peut bien extraire et brûler tout ce charbon et bousiller totalement notre climat..
Mais même dans ce cas là, il y a une seconde raison très sérieuse qui rend ce scénario de référence apocalyptique très improbable.
Cette deuxième raison décisive, c’est que ces scénarios ne sont en réalité pas des “business as usual”. Ce n’est pas vrai que “si on ne fait rien” on suit cette trajectoire.
En réalité, ces scénarios apocalyptiques décrivent ce qui se passe si 1) on arrête maintenant toutes les politiques climatiques du monde, qu’on stop tous les renouvelables, les voitures électriques, les rénovations thermiques, etc. et si 2) en plus on appuie à fond (et même au-delà du possible) sur la croissance nourrie aux énergies fossiles.
Le scénario de référence ne décrit donc pas du tout la trajectoire qu’on est en train de prendre aujourd’hui. Aujourd’hui, le monde prend conscience du problème climatique, cherche à réduire ses émissions et met déjà en place des politiques climatiques. La croissance économique est aussi plus faible.
Le scénario de référence ne tient pas compte des politiques climatiques actuelles, autrement dit du “business as usual” réel. Certains chercheurs, par exemple ici récemment dans la prestigieuse revue Nature, commencent à dire que c’est un gros problème de parler autant de ce scénario et de ces conséquences alors qu’il est très improbable et qu’il ne correspond pas du tout à la trajectoire qu’on a aujourd’hui.
Le scénario “politiques actuelles” (current policies), rappelons-le, prévoit un réchauffement climatique compris entre 2.7° et 3.1°.
Un réchauffement autour de 3° en 2100 aura des conséquences terribles. A +3°, la hausse des température va affecter les rendements agricoles. Les chercheurs calculent qu’à la fin du siècle, à +3°, le blé perdra 10 à 15% de rendement, le maïs entre 15 et 18% (Figure 2.B).
Pareil à 3° c’est un doublement des feux de forêts en Méditerranée, chaque année 2 fois plus de surface qui partent en fumée. C’est des sécheresses qui dureront 5 fois plus longtemps qu’aujourd’hui. Les spécialistes anticipent des sécheresses pouvant durer 20 mois dans certaines régions exposées. Vous imaginez les problèmes alimentaires, sociaux, politiques avec de telles sécheresses ?
Bref, on pourrait continuer longtemps, vous parler des ouragans, des inondations, de la banquises, du rétrécissement continu faute de neige des saisons de sport d’hiver, de la montée vers le nord des maladies, des insectes et des parasites tropicaux.
Surtout que le scénario “politiques actuelles” pourrait réchauffer le climat largement au-delà des 3°. Avec exactement la même trajectoire d’émissions, le climat pourrait flirter avec les 4°, ainsi que nous le montre le “thermomètre” du CAT.
A plus de 4°, toutes les conséquences du réchauffement climatique mentionnées plus haut seront encore aggravées. Et, pour vous donner une idée des “nouvelles” conséquences désastreuses, mentionnons rapidement les effets sur la biodiversité. Au-dessus de +4° la plupart des espèces du monde perdront 50 % de leur habitat actuel. Pas génial.
De plus rappelons que, selon la trajectoire “politiques actuelles” du CAT, le monde continuera d’émettre en 2100. Les données brutes indiquent que, si nous suivons notre trajectoire actuelle, le monde émettra encore entre 35 et 48 Gt CO2e en 2100. Le climat se réchauffera donc au-delà des degrés présentés par les modèles qui, vous l’avez remarqué, s’arrêtent tous en 2100.
Maintenir le réchauffement climatique sous les 1.5° en 2100 est un objectif largement partagé. En 2015 à la Cop21, les États se sont accordés sur l’objectif de limiter le climat sous les 2° et, si possible, sous les 1.5°. Ce “demi degrés” fait toute la différence dans l’ampleur des conséquences auxquelles le monde va devoir faire face.
Le GIEC a même consacré un rapport entier sur ce point précis : à quel point 1.5° est plus souhaitable que 2° de réchauffement.
La trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre qui maintient le climat sous les 1.5° demande une baisse des émissions extrêmement rapide. Le CAT nous le montre dans des graphiques illustrant spécifiquement les trajectoires ambitieuses de limitation du réchauffement climatique.
On voit qu’il nous faudrait diviser par deux les émissions mondiales en seulement 10 ans !
Et c’est pas fini. Après avoir divisé les émissions du monde en 10 ans, il faudra continuer à faire décroître nos émissions pour atteindre la neutralité carbone (c’est-à-dire le zéro émissions nettes) en 2060. Et c’est toujours pas fini. Après 2060, nous devrons atteindre des émissions négatives. Il nous faudra donc retirer du CO2 de l’atmosphère avec des arbres, des zones humides et des technologies conçues pour.
Si on ne fait pas tout ça : diviser par 2 nos émissions en 10 ans, neutralité en 2060 et émissions négatives après, il est très très très peu probable de tenir objectif des 1.5°.
Voilà l’enseignement de la trajectoire générale d’émissions jusqu’à 2100 qu’on vous remet ici à des fins pédagogiques.
Tenir l’objectif des 1.5° de réchauffement climatique commande une bifurcation BRUTALE de nos économies. Pour la France, le cabinet BL évolution a détaillé début 2019 une série de mesures qu’il faudrait toutes suivre dans les 10 prochaines années pour aligner la France avec l’objectif de 1,5°.
On doit baisser les émissions tellement rapidement qu’on n’a pas le temps de substituer des usages émetteurs par d’autres usages moins émetteurs. On est obligés de COUPER, de modifier radicalement nos modes de vie.
Prenons l’exemple du chauffage . Ils proposent un “couvre feu” thermique à 22h, après 22h couic, on coupe, et impossible de chauffer à + de 17°.
Cette mesure radicale elle est rendue nécessaire parce qu’en 10 ans, on n’a pas le temps de rénover tous les logements, de refaire l’isolation en façade et en toiture, de remplacer les chaudières de tous les immeubles et toutes les maisons de France par du chauffage au bois, des pompes à chaleur ou du solaire. Si on veut tenir les 1.5°on n’a pas ce temps là, on a pas ces 10-20 ans nécessaire à cette transition. On doit réduire les émissions TOUT DE SUITE.
Du coup, si on a pas le temps de remplacer, bah pas le choix, on dit qu’il faut chauffer moins.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça va probablement pas plaire à tout le monde. La mesure pose des grands problèmes d’acceptabilité politique, au moins à court terme, si on est gentil.
Et de plus en plus de climatologues et d’activistes écolo le disent : les 1,5 degrés, ça va pas être possible, c’est déjà trop tard. C’est peut-être matériellement encore possible, mais ça va être politiquement totalement impossible à réaliser.
A l’inverse, l’objectif des 2° commande des objectifs ambitieux (cf. la courbe 2020-2030 plus haut) mais pas tout à fait impossibles.
Il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’un quart dans les 10 ans. Cette baisse doit se poursuivre à un bon rythme pour arriver à -75% autour de 2050 puis à zéro émissions vers 2080.
Ces chiffres, vous les retrouvez souvent dans les vidéos de Jancovici, dans les projections du haut conseil pour le climat, etc. Ils correspondent aussi budget carbone de 2t de CO2/hab en 2050 pour rester sous le deux degrés ou au “facteur 4” de divisions par 4 des émissions d’ici 2050.
Au passage, notons que ce qu’on appelle “scénario 2°”, c’est un scénario qui permet de rester sous les 2°. Cette trajectoire d’émissions nous amène plutôt vers 1.6-1.7°. On a donc une petite marge par rapport à l’objectif 2° que tout le monde entend.
Merci à Linitaa pour la précision 🙂
Si le livre de Sylvestre Huet et Gilles Ramstein vous intéresse, en voici une présentation.