100 entreprises responsables de 71% du réchauffement climatique ? - Osons Comprendre

100 entreprises responsables de 71% du réchauffement climatique ?

Il claque ce chiffre non ? On aimerait tous que les vrais coupables du réchauffement climatiques soient les méchantes entreprises. Trop beau pour être vrai, vous ne trouvez pas ?

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Points clés

  • “100 entreprises responsables de 71 % du réchauffement climatique”, ça claque. On aimerait y croire et considérer que nous autres citoyens consommateurs ne sommes responsables “que” de 29 % du problème. Pourtant, ce chiffre est trompeur.
  •  Ce chiffre provient d’un rapport de 2017 de l’ONG “Carbon Disclosure Project”. Ce rapport compte uniquement les entreprises extractrices de fossiles : charbon, pétrole et gaz. Plutôt que le mot “entreprises”, la presse aurait dû mettre en avant le mot “fossile”.
  • Pour arriver à ce chiffre énorme, l’ONG attribue aux 100 compagnies les plus extractrices de fossiles la totalité des émissions de CO2 et de méthane induites par le charbon, le pétrole et le gaz qu’elles ont sorti des sols.
  • Cette manière de compter pose question. Total est-il vraiment “responsable” de mon trajet en voiture ou en avion ? Attribuer 100 % de la responsabilité au premier maillon de la chaîne fossile n’a pas plus de sens que de faire du consommateur l’unique responsable du changement climatique.
  • Ce chiffre doit donc être lu de manière systémique : la civilisation fossile est responsable de 71 % du réchauffement climatique depuis 1988. Lire ce chiffre en ayant en tête uniquement les entreprises est trompeur.
  • Il serait plus utile, pour mieux comprendre que faire et qui est « responsable », de montrer quels secteurs consomment le plus de fossiles. En France, le secteur à viser  en premier est, de loin, les transports (41.3 % des émissions des fossiles). Il est suivi par le chauffage (24.3 % des émissions des fossiles) , les industries manufacturières – BTP (15.2 %) et enfin les industries de l’énergie (14 %).
  • Attention, il ne faudrait pas dédouaner les entreprises fossiles de toute responsabilité. Elles ont dissimulé les preuves du réchauffement climatique, elles ont financé de la désinformation climato-sceptique et continuent de dépenser des centaines de millions de dollars chaque année pour empêcher toute sortie des énergies fossiles.

Sources et références

La rapport de Carbon Disclosure Project

Comment est construit le chiffre : 100 entreprises = 71 % du réchauffement climatique ?

Pour comprendre comment ce chiffre a été construit, il faut, comme toujours, remonter à la source.

Tout commence avec un rapport de l’ONG britannique « Carbon Disclosure Project » (Projet de révélation du carbone, en français approximatif). La livraison 2017 de son Carbon Major Database donne le chiffre suivant : les 100 plus grandes entreprises extractrices de fossiles sont responsables de 71 % des émissions de gaz à effet de serre sur la période 1988 – 2015.

Il faut prendre soin de bien comprendre ce chiffre. Ce chiffre ne porte pas sur « toutes les entreprises » mais uniquement sur « les 100 plus grandes entreprises productrices de fossiles ». Il s’agit donc des entreprises qui sortent le plus de charbon, de pétrole et de gaz du sous-sol de notre planète. On remarque déjà à ce stade que les titres de presses étaient trompeurs. Plutôt que de titrer « 100 entreprises », la presse aurait dû titrer « les 100 plus grandes entreprises fossiles« .  Premier point très important à retenir.

Ensuite, l’ONG évalue les émissions de gaz à effet de serre (GES) de ces entreprises fossiles d’une manière assez particulière. La méthode est détaillée, en anglais, à la page 6 du rapport. Elle est très explicite et, quand on regarde la formule, fait super sérieux 🙂

L’ONG regarde la quantité de fossiles extraite par chaque entreprise (Pp) puis multiplie cette quantité par un facteur d’émission (EFp) qui dépend du type de fossile en question. Le facteur d’émissions de GES de la lignite (une forme de charbon) est supérieur à celui du fioul lourd qui est lui-même supérieur à celui de l’essence et ainsi de suite. Une fois multipliée la quantité de fossiles extraite par les facteurs d’émissions adéquats, l’ONG est en mesure d’évaluer les émissions de GES de l’entreprise extractrice de fossiles. Il ne lui reste plus qu’a faire la somme (Σ) des émissions de GES des 100 plus grandes entreprises fossiles pour parvenir à sa conclusion frappantes : 100 entreprises seulement sont responsables de 71 % des émissions de GES !

Là, on vous a décrit la méthode comme l’expose l’ONG. Il y a une belle formule, ça fait super sérieux. Seulement, qu’est-ce que ça signifie tout ça ?

Cette somme super compliquée veut simplement dire que l’ONG a choisi d‘attribuer à l’entreprise extractrice de fossiles l’intégralité des émissions de GES induites par la combustion des fossiles qu’elle a sortis du sol !

Ce choix signifie donc que, lorsque vous faîtes le plein d’essence chez Total pour aller rendre visite à votre mamie, les émissions de GES induites par votre trajet sont attribuées à l’entreprise qui a extrait le pétrole du sol : Total ! De même pour le gaz que vous utilisez pour faire cuire la dinde de Noël, s’il est extrait par  Total, c’est pour Total, s’il vient de Gasprom, c’est pour Gasprom ! Vous avez compris la musique !

Il n’est donc pas surprenant que la part totale des 100 plus grandes entreprises fossiles dans les émissions de GES vous rappelle celle de notre vidéos sur les 3 causes du réchauffement climatique. Dans les deux cas, il s’agit de compter les émissions liées aux fossiles. Voilà pourquoi les deux chiffres se ressemblent.

Quelles sont les plus grandes entreprises extractrices de fossiles du monde ?

Un des grands intérêts du rapport de Carbon Disclosure Project est de nous donner une radiographie des géants de l’extraction d’énergies fossiles.

Voici le classement qu’elle donne, page 8 du rapport, des 25 plus grandes entreprises fossiles du monde :

Que pouvons-nous en dire ?

D’abord que le podium reflète fidèlement le classement des « facteurs d’émissions » des énergies fossiles. En première place nous retrouvons, représentée par la compagnie chinoise China Coal,  l’énergie fossile la plus émettrice de GES, le charbon. La médaille d’argent revient au mastodonte du pétrole saoudien Saudi Aramco. Et en troisième position, on a l’énergie fossile la moins émettrice de GES, le gaz naturel. C’est le géant russe Gazprom qui le représente ici. C’est sûrement un hasard de la géologie, mais c’est intéressant de le noter.

Le second enseignement de ce top 25, et du rapport plus généralement, est que l’essentiel des compagnies extractrices de fossiles sont contrôlées par des Etats. Sur les 100 plus grandes entreprises fossiles identifiées par le rapport, seules 9 sont détenues par des investisseurs privées.Vous en connaissez d’ailleurs la plupart des noms (Exxon, Shell, BP, Total, Chevron sont familiers). Cela veut dire que 91 % des entreprises sont en fait dirigées par des Etats. On voit donc que les fossiles, comme le sous-sol en général d’ailleurs, sont des marchandises stratégiques que les Etats tiennent à contrôler.

Au passage, nous devons admettre une erreur ! Dans la vidéo, nous nous sommes trompés en affirmant que 84 des 100 entreprises fossiles étaient dirigées par les Etats, elles sont 91 en réalité !

La « vraie » responsabilité des entreprises fossiles : lobbying et désinformation

1 ) Les majors fossiles savaient pour la catastrophe climatique MAIS n’ont rien dit

L’exemple qui a frappé les esprits récemment est celui d’Exxon, le géant pétrolier américain – chez nous, il se fait appeler Esso. La députée de New-York Alexandria Ocasio-Cortez interrogé en lors d’une audience parlementaire publique Martin Hoffert, un conseiller scientifique d’Exxon durant les années 80.

Celui-ci, sous la pression de la députée démocrate, a avoué que son entreprise, grâce à ses travaux et dès 1982, était au courant des conséquences terribles pour le climat et les humains du pétrole qu’elle vendait. Il a ajouté qu’à la même période Exxon diffusait des publicités minimisant l’influence du pétrole sur le climat.

Ajoutons que, en 1982, le consensus scientifique sur le réchauffement climatique causé par les énergies fossiles n’étaient pas encore établi. Les scientifiques d’Exxon étaient donc en avance sur leur temps.

L’entreprise savait, était très consciente de l’influence néfaste des émissions de GES de son pétrole pour l’humanité mais n’a rien dit. Et même pire, l’entreprise a tout fait pour induire l’humanité en erreur, au mépris de ses propres travaux scientifiques.

La vidéo est délicieuse. Nous n’avons, malheureusement, pas trouvé de traduction en français de ce passage. Si quelqu’un en trouve une, ou se motive à la traduire, nous nous ferons un plaisir de publier ici la transcription de l’échange.

Voici un lien vers la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=Ms-vVR7o-nM

2 ) Les majors fossiles ont financé de la désinformation sur le climat

Si Exxon est aujourd’hui la cible d’une enquête de la justice américaine pour désinformation à propos du réchauffement climatique, plusieurs autres majors fossiles sont aussi impliqués.

Ces majors ont collaboré pour mettre en place une stratégie classique quand une industrie est pointée du doigt par la science : la stratégie du doute.

Cette stratégie consiste à financer des études – plus ou moins scientifiques – à payer des colloques, des brochures, des publicités, des articles, des films, etc. pour semer le doute face à l’accusation dont cette industrie fait l’objet. L’industrie du tabac a été pionnière dans l’utilisation du doute pour continuer à vendre ses produits cancérigènes.

Dans le cas des majors fossiles, il s’est agit de diffuser le plus possible la thèse de l’incertitude. Nous ne sommes pas sûrs que le réchauffement climatique 1) existe, 2) soit d’origine humaine 3) soit d’origine fossile. Si les trois premières tactiques d’incertitudes commencent à se fissurer, il vous reste la numéro 4) nous ne sommes pas sûrs que des mesures d’adaptation au réchauffement climatique soient nécessaires, il pourrait même être bénéfique (pour les plantes, l’agriculture, le tourisme, etc.).

De nombreux documents prouvent, dans le cas américain, que des entreprises du charbon, du pétrole et du gaz se sont unies dans la Global Climate Coalition, un lobby destinées à coordonner leurs efforts de désinformation. Les entreprises fossiles ont également financé de nombreux think tanks climato-sceptiques. Citons, parmi les plus connus, l’Atlas Network et l’International Policy Network. Ces derniers ont été analysés finement par le travail du journaliste britannique du Guardian George Monbiot dont on vous recommande la lecture.

Nous consacrerons peut-être, si vous le souhaitez, une vidéo spécifique sur les stratégies de désinformation climato-sceptiques mises en oeuvre par les lobbies fossiles. N’hésitez pas à nous le dire en commentaire. En attendant, quelques références pour aller plus loin.

Un article introductif très clair en français : https://www.lecho.be/economie-politique/international/general/la-strategie-climatosceptique-devient-plus-sophistiquee/10119302.html
Une introduction au travail de Monbiot (en anglais) : https://www.theguardian.com/commentisfree/cif-green/2009/dec/07/climate-change-denial-industry
Un article sur l’International Policy Network : https://www.independent.co.uk/environment/climate-change/climate-change-sceptic-think-tank-shuts-down-2300529.html

3 ) Les majors fossiles dépensent des fortunes pour empêcher de sortir des fossiles

Ici, nous nous appuyons sur le travail de l’ONG Influence Map. Chaque année, elle produit un travail intéressant de suivi du lobbying climatique.

Nous reproduisons ici une infographie réalisée par Forbes à partir du rapport 2019 Big Oil’s Real Agenda on Climate Change de l’ONG Influence Map.

On y voit que les 5 majors pétrolières privées mondiales – vous les retrouvez dans le rapport du Carbon Disclosure Project – ont dépensé au moins 200 millions de dollars en 2019 pour empêcher la transition énergétique et maintenir la dépendance de nos économies aux fossiles.

Dans quels secteurs utilise-t-on les énergies fossiles en France ?

Plutôt que de nous en tenir au titre choc « 100 entreprises responsables de 71 % du réchauffement climatique », il serait plus utile, pour mieux comprendre que faire et qui est vraiment « responsable », de montrer quels secteurs consomment le plus de fossiles.

Si on sait comment on utilise les énergies fossiles responsables du réchauffement climatique, on saura quels usages cibler et quels questions concrètes de substitution et de sobriété la transition énergétique pose vraiment.

Nous avons donc chercher à regarder dans quels secteurs utilise-t-on les énergies fossiles en France aujourd’hui.

Pour construire le graphique ci-dessous, nous nous sommes appuyés sur les données des Chiffres clés du climat – édition 2019, visibles à la page 37 du rapport. Nous avons isolé les GES émis par « utilisation de l’énergie ». L’utilisation de l’énergie, ce sont les émissions de CO2 et de méthane liées aux fossiles. Nous avons pris ces 70.3 % des émissions totales et en avons détaillé la composition par secteur dans le camembert ci-dessous :

Sur ce graphique, les priorités de la transition énergétique française hors des fossiles se voient très bien.

Il nous faut, en premier lieu, nous débarrasser des fossiles dans les transports. Ils comptent pour plus de 40 % des émissions liées aux fossiles. Pour ce faire, il nous faut diminuer notre consommation (en baissant la conso des voitures), encourager les transports les moins émetteurs (privilégier les transports en commun ou le vélo à la voiture individuelle, préférer le train à l’avion, développer le fret ferroviaire au détriment des camions) et encourager les énergies non-fossiles dans la mobilité (voiture, vélo électriques)

Ensuite, il est bon de s’attaquer au chauffage de nos habitations et bureaux. Eh oui, les chaudières à gaz ou au fioul représentent près d’un quart des émissions françaises de fossiles. Là, la priorité majeure est de mieux isoler les bâtiments. Ça éviterait de nombreux gâchis et nous permettrait de diviser rapidement nos émissions de GES. Il faut aussi envisager le remplacement des chaudières fossiles par des chaudières alimentées par des énergies bas carbone. Les options principales sont le chauffage électrique, les pompes à chaleur et une solution moins connue, le solaire thermique (s’il vous intéresse, regardez cette vidéo).