Les aides sociales sont souvent pointées du doigt. Le RSA, les allocs, coûteraient un "pognon de dingue" à la société pour très peu de résultats. Tour d'horizon d'une idée reçue.
La protection sociale regroupe toutes les politiques destinées à protéger la société des grands risques de la vie : vieillesse, maladie, chômage, invalidité, pauvreté.
En 2018, les dépenses de protections sociales s’élevaient à 742 milliards d’euros (p.12) soit, 31.4 % du PIB.
81 % des dépenses de protection sociale ciblent les retraites et la santé.
Au passage, cette santé et ces retraites “socialisées” par la cotisation, ils restent malgré les réformes successives – encore aujourd’hui – parmi les plus efficaces et solidaires du monde.
La Sécurité sociale française nous permet d’avoir le“reste à charge” le plus faible du monde. Les ménages français ne déboursent, en moyenne, que 9 % du coût de leurs dépenses de santé (à l’hôpital, chez le médecin, à la pharmacie etc. )
Le système de retraite français garantit lui un “taux de remplacement” tout à fait honorable. La pension des retraités français équivaut, en moyenne, à 73.6 % du dernier salaire.
Une acception large des aides sociales inclut :
Ces aides sociales coûtent, en 2018, 46.4 milliards aux budgets publics. Cela correspond à 6.3 % des 742 milliards d’euros mobilisés pour la protection sociale et 2 % des 2360.7 milliards de PIB français.
Est-ce que les aides sociales sont efficaces pour corriger les inégalités ? Pour le savoir, faut regarder les enquêtes sur la “redistribution des revenus” que propose l’INSEE.
Avant le prélèvement des impôts directs et le versement des prestations sociales, les 10 % les plus riches gagnent 22 fois plus que les 10 % les plus pauvres (regarder les barres bleues sur le graphique). Une fois les prestations versées et les impôts prélevés, cet écart tombe à 5.6. Les revenus ont été redistribués (voir les barres rouges et vertes sur le graphique), les inégalités ont diminué.
Les prestations de solidarité jouent un grand rôle dans la réduction des inégalités. Laissons l’INSEE parler :
De leur côté, les prestations sociales […] contribuent pour 63 % à la réduction des inégalités en 2018, contre 37 % pour les prélèvements.
Les deux tiers de la réduction des inégalités vient des aides sociales alors que les prélèvements, les impôts directs, ne contribuent qu’à un gros tiers de l’effet.
Grâce à la redistribution et aux aides sociales qui multiplient par 3 les revenus des plus pauvres, la France est un des pays du monde avec la plus faible proportion de pauvres.
En 2017, seuls 8.1 % des Françaises et Français disposaient d’un revenu inférieur à la moitié du revenu médian. C’est autour de 2 fois moins qu’en Espagne, au Japon, en Israël ou aux États Unis.
Il s’agit ici du taux de pauvreté dit “à 50 % du revenu médian” c’est à dire des gens qui gagnent moins que 860 € par mois.
Les spécialistes de la pauvreté jugent que c’est trop restrictif, beaucoup pensent qu’on fait déjà partie des populations pauvres quand on gagne moins de 60 % du revenu médian soit 1040 € par mois.
Si on prend ce taux de pauvreté à 60 % du revenu médian en compte, la France compte plus de pauvres (on passe de 8 à 13%) mais reste toujours très bien classée par rapport aux voisins.
Ces pourcentages abstraits peuvent paraître flatteurs. En réalité selon l’INSEE, même si la France est “bien classée”, notre pays comptait tout de même entre 5 et 9 millions de pauvres en 2019. Et ça ne va pas s’arranger avec la crise du Covid.
Comme pour les inégalités, les aides sociales sont les principales responsables de cette pauvreté réduite.
RSA, prime activité, allocations logements et allocs familiales ont permis de réduire le taux de pauvreté de près de 8 points en 2017 (DREES, p.9).
Sans ces aides, notre pays compterait presque 2 fois plus de pauvres. Notre situation ne serait plus si différente de celle des Etats-Unis.
Selon le rapport de l’Assemblée nationale de 2020 (p160), la fraude détectée en 2091 par la branche famille de la CAF (RSA, prime d’activité, allocations familiales et logement) s’élevait à 324 millions d’euros. Cela correspond à 0.4 % des 77.7 milliards d’euros de prestations versées la même année.
Ces 49 000 fraudes détectées ne représentent qu’une petite partie de la fraude sociale totale, 15 % selon les experts auditionnés pour le rapport.
Grâce à une belle règle de trois, on estime le total de la fraude aux aides sociales de la branche famille à un préjudice d’un peu moins de 2.2 milliards d’euros pour les comptes publics.
Un montant cohérent avec le chiffre de 2.3 milliards d’euros cité dans le rapport de la Cour des comptes (p.8).
2.3 milliards c’est pas énorme comparé au budget de l’Etat et au PIB mais ça représente tout de même 5 % de nos 46 milliards dépensés pour les plus pauvres. La fraude n’est donc probablement pas “négligeable”. C’est un coût pour l’Etat.
L’estimation “standard” la plus utilisée du non-recours nous vient d’une enquête téléphonique de la CAF et de la DARES effectuée y’a 10 ans, en 2010-2011. Sur 15 000 personnes interrogées, les enquêteurs ont trouvé que 36 % des personnes qui pourraient avoir droit au RSA ne le réclament pas.
Ces 36 % de non-recours sont considérés comme une estimation “trop haute” parce que les “déclarations de revenus” par téléphone n’ont pas été super bien faites. Il y a notamment des personnes interrogées qui déclarent toucher le RSA alors que les revenus déclarés ne les rendent pas éligibles.
A côté on dispose aussi d’une estimation réalisée par simulation à partir de l’enquête INSEE sur les revenus. Cette simulation nous donne 14 % des personnes éligibles au RSA qui ne le demandent pas.
Ces 14 % c’est une estimation jugée “trop basse” par les spécialistes. En effet, l’enquête INSEE exclut les SDF, les personnes en EHPAD ou hôpitaux psychiatriques, toutes les personnes précaires qui n’ont pas une résidence fixes et qui, par hypothèse, doivent constituer une partie non négligeable des non-recours au RSA.
C’est d’ailleurs exactement ce que nous disent les enquêtes du Secours catholique (p.47). Le Secours Catholique est une association qui s’adresse précisément aux publics les plus en difficulté, les SDF, les personnes désocialisées etc. En enquêtant, ils ont découvert que jusqu’à 40 % de leurs bénéficiaires pourraient toucher le RSA mais n’y avait pas recours.
On peut donc raisonnablement dire que 14 % de non-recours c’est sûrement trop bas, et que 36 % c’est sûrement trop haut. La vérité est probablement au milieu.
Un économiste a retravaillé les données disponibles (p.16), et estime le taux de non-recours plutôt à 25 %.
Maintenant qu’on connaît le pourcentage de non-recours, tâchons d’en estimer le montant.
D’après Philippe Warin (p.3) – un chercheur à Science Po Grenoble spécialiste du non-recours aux aides sociales – les 36 % de non-recours de l’enquête CAF donnerait 4 milliards d’euros de prestations non versées chaque année par l’Etat.
Si on retient plutôt une estimation à 25 % de non-recours et qu’on fait une règle de 3, on obtient alors, à la louche, 2.8 milliards d’euros que l’Etat économise chaque année parce que les gens n’activent pas leurs droits au RSA.
On voit donc que, grosso modo, le montant total du non-recours pour le seul RSA – les 2.8 milliards – est supérieur à la fraude sociale pour toutes les prestations de la branche famille – les 2.3 milliards qui comptent, rappelons-le, le RSA bien sûr, mais aussi la prime d’activité, les allocation logements et les allocations familiales.
On peut donc penser que, au total pour toutes les prestations, le non-recours représente un problème bien plus important que la fraude sociale, les “abus” d’aides sociales.
Une étude de l’INSEE publiée en 2014 donne un chiffre vertigineux (Tableau 13 p.16) sur les effets du non-recours sur la société.
Si le non-recours au RSA (uniquement dans sa composante “activité” ce qui, à l’époque, était entre le RSA et la prime d’activité d’aujourd’hui) était à zéro, on pourrait sortir 496 000 personnes supplémentaires de la pauvreté.
Il faudrait bien entendu actualiser ces estimations avec les données actuelles, mais on comprend bien l’intérêt social de diminuer au maximum le non-recours.
La même logique se retrouve sur le non-recours à la CMU dans sa part complémentaire.
Dans son rapport d’activité 2019 (p.80), le fond CMU estime que 32 à 44 % des personnes qui pourraient bénéficier de la CMU complémentaire ne la demandent pas. Grosso modo, 2.3 millions de personnes pourraient bénéficier d’une couverture santé complète et accéder à des meilleurs soins.