Le prix de la démocratie - Osons Comprendre
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Points clés

  • En politique, plus il y a d’argent, plus il y a de chances de gagner.
  • Contrairement aux États-Unis, le financement de la politique est, en France, encadré et plafonné.
  • Le financement public direct comporte deux leviers : le remboursement des campagnes électorales et la subvention annuelle aux partis politiques.
  • Le financement privé prend la forme de dons directs aux partis ou aux campagnes. Ces dons sont plafonnés.
  • Les dons privés sont, surtout, extrêmement inégalitaires. Les riches donnent BEAUCOUP plus que les pauvres et influencent ainsi davantage la politique menée.
  • Les dons des plus riches sont également favorisés par une déduction fiscale. Cette déduction fiscale bénéficie plus au 10 % les plus riches de France qu’aux 90 % les plus pauvres.
  • Cette déduction fiscale aboutit donc à la situation antidémocratique suivante : l’État subventionne l’influence des plus riches sur la politique.
  • Julia Cagé propose une solution : les “Bons pour l’égalité démocratique”.

Sources et références

Pourquoi le financement de la vie politique est important : Plus y’a d’argent plus il y a de chances de gagner.

Lorsqu’on pense à l’influence de l’argent sur la politique, on pense le plus souvent à deux choses : la corruption par les lobbies industriels et les médias des milliardaires faiseurs de rois. On pense beaucoup moins immédiatement à un rôle crucial de l’argent sur la politique : le candidat le plus dépensier a plus de chance de gagner l’élection. Plus on dépense d’argent dans une campagne, plus on a de chances de la gagner.

Ca a même été démontré. Yasmine Bekkouche et Julia Cagé, deux économistes à la Paris School of Economics et à Sciences Po (respectivement), ont prouvé dans un article publié en 2018 l’influence de l’argent dépensé par les candidats sur la probabilité de gagner une élection.

Pour démontrer l’effet de l’argent sur la victoire aux élection, les deux économistes, ont épluché les comptes de campagne de 45 000 candidats aux 4 élections municipales et aux 5 législatives qu’a connu la France entre 1993 à 2014.

Leur constat est sans appel : l’argent dépensé dans une campagne électorale augmente le nombre de voix que récoltent les candidats. Cela se voit très bien sur ces deux graphiques issus de l’article (p.49).

On y voit clairement que les résultats aux votes (échelles verticales) sont plus élevés quand les dépenses (échelles horizontales) augmentent. C’est vrai aux élections législatives (graphique du haut) et aux élections municipales (graphique du bas) depuis de nombreuses années.

Elles ont même calculé le coût moyen d’une voix pour chaque élection. Aux législatives, 6 € dépensés permettent d’acquérir une voix supplémentaire. Aux municipales, la voix est plus chères. Il faut dépenser en moyenne 32 € pour obtenir une voix supplémentaires. Ces résultats valent quels que soient le genre, la popularité du parti à ces élections et même le fait que le candidat soit élu sortant ou non. Ce “prix moyen” de la voix aux élections fonctionnent bien pour tous les partis… à l’exception des partis d’extrême-droite qui, eux, doivent dépenser davantage pour obtenir une voix.

A la lecture de ces recherches extrêmement bien conduites, il faut se rendre à l’évidence. L’agent dépensé dans les campagnes électorales a une influence colossale sur le fonctionnement de notre démocratie. Le candidat qui dépense le plus sera donc extrêmement favorisé par rapport aux autres.

Comment s’organise le financement de la vie politique dans notre pays ?

L’article de Bekkouche et Cagé :

https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3125220

Le site internet de l’ouvrage de Cagé Le prix de la démocratie avec plein de données accessibles :
http://www.leprixdelademocratie.fr/france.php#fr

    La France c’est pas les Etats-Unis : le plafonnement des dépenses électorales et l’interdiction du financement direct par les entreprises.

La première chose à noter est que la situation en France est bien meilleure que celle aux Etats-Unis. Pourquoi ?

D’abord parce qu’aux Etats-Unis, les dépenses dans les campagnes électorales ne sont pas plafonnées. Les candidats peuvent dépenser tout l’argent qu’ils veulent pour leur campagne électorale et, ainsi, augmenter grandement leur probabilité de victoire. Hilary Clinton a dépensé 1.2 milliards de dollars pour sa campagne présidentielle de 2016. Il s’agit de la campagne la plus chère de toute l’histoire des Etats-Unis.

En France, les dépenses de campagne pour chaque élection sont plafonnées par la loi. Par exemple, le plafond pour la campagne présidentielle de 2017 etait fixé à 16.851 millions d’euros pour les candidats au premier tour de l’élection et à 22.509 millions d’euros pour les qualifiés au second tour. Il en va de même en France, avec des plafonds évidemment moindres, pour chaque élection. Ces plafonds sont là pour assurer davantage d’équité entre les candidats. Il s’agit, évidemment, d’une disposition essentielle pour éviter que la démocratie soit confisquée par les intérêts des plus fortunés.

Ensuite, les Etats-Unis permettent le financement direct des campagnes et des partis politiques par les entreprises et, plus généralement, par les personnes morale. Cela signifie que la démocratie américaine reconnaît le rôle des entreprises, des lobbies, des syndicats, des paroisses et de tous les groupes d’intérêt en général. Pour prendre un exemple concret, l’American Federation of Teachers a versé 2 millions de dollars à la campagne de Clinton. Les dons directs des entreprises aux campagnes de Clinton et Trump étaient, du fait de la grande suspicion de l’électorat, très limités ( 250 000 $ pour Clinton et 25 000 $ pour Trump). Seulement de nombreux PDG, super cadres, lobbyistes ont donnés des millions en leur nom propre. En source, vous trouverez deux articles récapitulant les plus gros donateurs individuels des campagnes de Clinton et Trump. De fondateurs de Facebook à des présidentes de hedge-funds et de casinos, en passant par l’agroalimentaire et les hôtels Hyatts, vous y trouverez beaucoup de grands intérêts. Et on ne parle ici que des 10 plus grands donateurs de chacune des campagnes. Si vous décendez plus bas dans la liste des donateurs, vous en trouverez d’autres. Greenpeace a trouvé, parmi les financeurs de la campagne Clinton, une myriades de dons de lobbyistes des énergies fossiles pour une facture approchant les 7 millions de dollars.

En France, non seulement les dons des personnes morales (entreprises, syndicats etc) aux campagnes électorales et aux partis politiques sont interdits mais, nous le verrons plus tard, aucun don ne peut dépasser le 7 500 €. Rien à voir avec les 35 millions de dollars donnés par le cofondateur de Facebook Dustin Moskovitz à la campagne Clinton !

Les 1.2 milliards de dollars dépensés par Clinton en 2016 :

https://www.rtl.fr/actu/international/etats-unis-clinton-a-realise-la-campagne-la-plus-chere-de-tous-les-temps-7786236083

Le plafond à la présidentielle de 2017 :

https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-elections/Election-presidentielle-2017/Election-presidentielle-2017-le-financement-de-la-campagne

Les dons directs des entreprises à Clinton et Trump : 

https://www.marketplace.org/2019/03/21/low-cost-swearing-corporate-pac-money/

Les 10 plus grands donateurs de Clinton : 

https://www.investopedia.com/articles/investing/033116/top-10-corporate-contributors-clinton-campaign.asp

Les 10 plus grands donateurs de Trump : 

https://www.investopedia.com/articles/investing/033116/top-10-corporate-contributors-trump-campaign.asp

L’enquête de Greenpeace US sur les financement de Clinton par les fossiles :

https://www.greenpeace.org/usa/campaign-updates/hillary-clintons-connection-oil-gas-industry/

    La financement public de la vie politique : remboursement des campagnes électorales et subvention annuelle aux partis politiques.

Mais alors comment les campagnes électorales et la vie politique sont-elles financées en France ? Et bien, la première réponse à donner est l’importance du financement public de la vie politique. Ce financement public emprunte trois canaux. Nous allons ici aborder les deux moyens de financement public direct de la vie politique. Le financement public indirect sera abordé plus tard.

Le premier canal de financement public direct de la vie politique est le remboursement des dépenses de campagne électorale. Cela représente, lorsqu’on l’annualise, 52 millions d’euros par an que l’Etat verse pour financer la vie politique. Pour toutes les campagnes électorales, lorsque le candidat respecte les plafonds légaux et certains critères (atteindre un certain nombre de voix, être dans une commune suffisamment grande etc.) il a droit à un remboursement d’une partie de ses frais de campagne. Pour reprendre notre exemple de la présidentielle de 2017, tout candidat ayant fait plus de 5% au premier tour pouvait voir jusqu’à 47.5 % de ses frais de campagne remboursés (en-dessous de 5 % des voix, il ne pouvait être remboursé qu’à hauteur de 4.75 % maximum de ses frais de campagnes). Ces remboursements de campagne sont un financement public de notre démocratie qui permet d’en améliorer l’équité. Certes, il faut avancer les dépenses – ce qui n’est pas rien – mais ce financement permet au moins de minimiser les risques que court un candidat.

Le second canal de financement public direct, c’est la subvention annuelle que l’Etat verse aux partis politiques. Cette subvention s’élève à 63 millions d’euros par an. Elle est calculée pour 5 ans à l’issu des résultats de chaque parti aux élections législatives. Les variables prises en compte sont le nombre de candidats, le respect de la parité, le nombre total de voix et le nombre de parlementaires (députés + sénateurs). Pour connaître la ventilation de ces subventions en fonction des partis politiques, nous vous mettons en lien la répartition pour 2018. Nous n’avions pas ces chiffres lorsque nous avons tourné notre vidéo donc ne vous étonnez pas si le total des subventions pour 2018 est de 66 millions et non les 63 millions dits dans la vidéo.

Le total de ces financements publics direct est donc de 115 millions d’euros annuels.

Les 63 et 52 millions annuelles versés en financement public :

https://www.liberation.fr/debats/2018/09/07/julia-cage-en-france-les-plus-pauvres-paient-pour-satisfaire-les-preferences-politiques-des-plus-ric_1677285

La ventilation par parti politique des 66 millions de subvention directe versés en 2018 :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037488432&categorieLien=id

    Le financement privé par les dons :l’apanage des plus riches

A ces financements publics directs s’ajoutent les dons privés. Chaque personne physique peut donner à un parti politique ou à une campagne électorale. On a vu que les personnes morales, les entreprises, associations etc. n’avaient, en France, pas le droit de donner.
Cette source de financement privé représente tout de même 101 millions d’euros en France – soit quasiment autant que le financement public direct. Il ne faut donc pas négliger les dons privés dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales.

Ces dons sont encadrés et plafonnés. La loi est très claire à ce sujet. Les dons pour le financement des campagnes électorales sont plafonnés à 4 600 € par personne et par élection.     Les dons et cotisations d’adhésions aux partis politiques sont plafonnés à 7 500 € annuels par personne. Dans les deux cas (campagne ou parti) il est possible de donner à plusieurs candidats.

Ces plafonds représentent des montants annuels importants. Pour se donner un ordre d’idée, 7 500 € c’est 7 mois de SMIC et 4 mois de revenus médians (29 000 € avant impôts, données World inequality Database ). Il faut donc être très riche pour pouvoir donner autant que semblent le prévoir les plafonds. Quand on regarde qui sont les personnes qui donnent le plus, on retrouve cette surreprésentation des plus riches.

Ce graphique, tiré de la page 28 des annexes du Prix de la démocratie de Julia Cagé, est explicite. Les 10% les plus riches de France (P90-100) fournissent plus de 50% des dons et cotisations privés aux partis politiques. A l’autre extrémité, la somme de P0-10 jusqu’à P40-50 dépasse péniblement les 5 % du total des dons privés aux partis politique.

C’est donc sans appel : les riches donnent BEAUCOUP plus aux partis politiques que les pauvres.

Cette phrase peut se reformuler ainsi : “En France les partis politiques sont beaucoup plus dépendants du financement des plus riches que de celui des plus pauvres.”

Les chiffres sont sans appel : les partis politiques et candidats ont intérêt à séduire et attirer les plus riches pour obtenir plus de dons et, donc, augmenter leurs chances de gagner l’élection.

Par exemple, une enquête Franceinfo a révélé que la moitié des dons récoltés par le candidat Macron (48 % pour être exacts) venait de seulement 1212 très gros dons. On parle de dons de plus de 6 300 € en moyenne pour un montant total récolté supérieur à 7.6 millions d’euros. Seules des personnes très fortunées sont en capacité de donner de telles sommes pour un parti tout neuf qui se lance en campagne. On peut imaginer que si ces riches donateurs se plaignaient, au hasard, de l’ISF, de l’exit tax, ou demandaient une flat tax pour payer moins d’impôts sur le capital, le candidat Macron avait plutôt intérêt à inclure ces demandes dans son programme.

Les annexes du livre Le prix de la démocratie de Julia Cagé :
http://www.leprixdelademocratie.fr/data/annexes.pdf

Dons des particuliers : 101 millions d’euros :

https://www.alternatives-economiques.fr/julia-cage-democratie-ne-plus-etre-a-vendre/00086190

Les plafonds fixés par la loi :
https://www.impots.gouv.fr/portail/particulier/questions/jai-fait-des-dons-un-parti-politique-que-puis-je-deduire

L’enquête de Franceinfo :

https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-04-mai-2019?fbclid=IwAR2cIkN2lLkeMfFtRPP-zQVwxY0nRtaFmdkP48mghtOUqllBr5n7ip4IeV8

    Le SCANDALE français : la défiscalisation des dons privés.

On le voit, le financement privé des partis politiques et campagnes électorales est une problème majeur pour notre démocratie. Les citoyens les plus fortunés ont davantage d’influence sur les choix politiques que les citoyens ordinaires.

Mais ce n’est pas le seul problème : l’Etat incite fiscalement et, donc, sponsorise, les dons des plus fortunés aux partis politiques et campagnes électorales.

Comme vous le savez peut-être, les dons aux associations d’intérêt général ouvrent droit à une défiscalisation. 66 % du montant des dons est déduit de l’impôt sur le revenu à payer. Si vous donnez 100 € aujourd’hui, vous pourrez déduire 66 € du montant d’impôt sur le revenu à payer. Vous n’aurez donc “vraiment donné” que 33 € à l’association, le reste venant, indirectement, de l’Etat – qui renonce à 66 € de vos impôts. Ca veut donc dire que l’Etat subventionne à 66 % les dons aux associations d’intérêt général.  C’est valable pour le Téléthon et les Restos du coeur, mais ça s’applique aussi aux partis politiques.

Il est donc impératif de considérer qu’une partie du financement privé de la vie politique est un financement public déguisé.

Le truc c’est que, il faut payer des impôts sur le revenu pour bénéficier de la réduction de 66 %. Ce mécanisme bénéficie donc, surtout, aux plus riches. Plus vous êtes riches, plus vous payez d’impôts. Plus vous payez d’impôts plus vous pouvez bénéficier de réduction fiscale. Rappelons que, 57 % des foyers fiscaux ne gagnent pas assez pour payer l’impôt sur le revenu.
Ce graphique, issu des données de Cagé, est extrêmement explicite. On y voit la dépense fiscale annuelle totale (c’est-à-dire le niveau de soutien public) distribuée selon les revenus.

L’écart entre la subvention fiscale aux 10 % les plus riches de notre pays (P90-100) et celle dévolue au plus pauvre fait froid dans le dos.

La déduction fiscale dont bénéficient les 10 % plus riches (41.7 millions d’euros)  est largement supérieure à la somme du soutien accordé aux 90 % les plus pauvres (22.6 millions d’euros). Et l’écart est loin d’être anodin !

Conclusion : L’Etat paye pour que les riches influencent notre vie politique. C’est tout ce que vous voulez SAUF démocratique. 

Les données du graphique : 

http://www.leprixdelademocratie.fr/data/donnees_slider_capture_leprixdelademocratie.xls

Un excellent article à ce sujet rédigé par les économistes de l’ENS Lyon :
http://ses.ens-lyon.fr/articles/le-prix-de-la-democratie-entretien-avec-julia-cage

57 % des foyers fiscaux ne paient pas l’impôt sur le revenu (page 8) :
https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgfip/Rapport/2017/RA2017_cahierstats_0719.pdf

    La solution “Cagé” pour un financement démocratique de la politique

Julia Cagé propose une solution originale : les “Bons pour l’égalité démocratique”.

Qu’est-ce que cela ? Ecoutons la chercheuse expliquer son idée :

“Je propose ainsi de remplacer le financement public actuel parce que j’ai appelé les « Bons pour l’Égalité Démocratique », un système qui a deux avantages majeurs : égaliser le financement public avec un même montant pour chaque citoyen, quels que soient ses revenus, et le dynamiser. De quoi s’agit-il ? Chaque citoyen pourra, chaque année, allouer 7 euros d’argent public au mouvement politique de son choix à travers sa feuille d’impôt. Et si un citoyen décide de ne pas choisir de mouvement politique, alors ses 7 euros d’argent public seront répartis entre les différents mouvements politiques selon les règles actuelles (c’est-à-dire en fonction des résultats obtenus aux dernières législatives). Ce système viendra remplacer tout à la fois le système actuel de déductions fiscales qui est profondément inégalitaire et le système de financement public direct qui souffre aujourd’hui du fait d’être figé par intervalles de cinq ans. Au contraire, avec les « Bons pour l’Égalité Démocratique », on a un système dynamique, qui permet chaque année l’émergence de nouveaux mouvements, même entre deux élections !”

Un excellent article à ce sujet rédigé par les économistes de l’ENS Lyon :
http://ses.ens-lyon.fr/articles/le-prix-de-la-democratie-entretien-avec-julia-cage