L’essence est-elle trop chère ? La réponse va vous étonner - Osons Comprendre

L’essence est-elle trop chère ? La réponse va vous étonner

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L'essence est-elle trop chère ? La question semble idiote tant la hausse des prix à la pompe est visible tous les jours. Pourtant, quand on creuse, la vérité à la pompe semble plus complexe. Attention, surprises garanties.

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Points clés

  • Le coût des carburants est une question cruciale à la fois sociale et écologique. 3 Français sur 4 utilisent la voiture pour aller travailler et sont donc très exposés à des prix élevés à la pompe. Et de l’autre côté, l’essence et le diesel sont responsables des 28.5 % des émissions de gaz à effet de serre nationales. On aimerait donc maintenir des prix élevés pour favoriser les alternatives moins destructrices pour le climat. Savoir comment les prix à la pompe ont évolué est donc une information cruciale pour trancher ce dilemme.

 

  • Si les prix constatés à la pompe ont énormément augmenté (multiplication par 3 en 25 ans du diesel)), la hausse est moins importante une fois tenue compte de l’inflation, l’augmentation générale des prix qui fait baisser la valeur de la monnaie. Le prix “réel” du diesel a été multiplié par 2 en 30 ans et celui de l’essence a grimpé de 42%.

 

  • En rester aux prix à la pompe, même déflatés, serait trompeur. On n’achète pas du diesel pour le stocker mais pour faire des kilomètres, il faut donc inclure  la consommation moyenne des voitures à l’équation pour obtenir l’évolution du coût de parcourir un kilomètre.  On remarque alors que, pour la voiture moyenne à essence, le coût du kilomètre a été remarquablement stable depuis 1990 : autour de 12 centimes d’euros 2023 le kilomètre. Pour la voiture moyenne au diesel, le coût du kilomètre a beaucoup augmenté – il est passé de 6 à 11 ct/km – mais le gros de cette augmentation a eu lieu dans les années 90. Depuis 2005, le coût du kilomètre diesel est resté assez stable, oscillant autour des 10 centimes d’euros 2023.

 

  • On peut donc affirmer que, depuis quasiment 20 ans, rouler en voiture ne coûte pas plus cher en France. Mais les salaires ont-il suivi ? Qu’on regarde au niveau du SMIC ou du salaire médian, on remarque que les salaires ont suivi, les Français ont les moyens de parcourir autant de kilomètres qu’en 1990 s’ils roulent à l’essence et qu’en 2005 s’ils roulent au diesel.

 

  • En revanche, un paramètre crucial a bien changé durant cette période : les Français habitent plus loin de leur travail. C’est particulièrement vrai des ménages ruraux qui doivent parcourir toujours plus de kilomètres pour se rendre au travail (25 km aller retour en 2019 contre 16 en 1999).

 

  • Si, en moyenne, malgré la taxe carbone et les hausses de prix, rouler en voiture ne coûte pas plus cher depuis au moins 2005 en France certains ménages sont plus exposés que d’autres. On pense particulièrement aux ménages ruraux, roulant depuis longtemps au diesel. Pour ces catégories-là, rouler en voiture coûte bien plus cher aujourd’hui qu’il y’a quelques dizaines d’années. Si en plus de ça, le ménage a des revenus modestes, la situation peut être encore pire. Il serait ainsi opportun de mettre en place des chèques énergies ciblés sur ces ménages pour les soulager des prix à la pompe.

Sources et références

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Prix des carburants : le dilemme

 

D’un côté, la voiture est au cœur des déplacements aujourd’hui. Les trois quarts des Français vont au travail en voiture, et c’est même plus de 80% si on met à part la zone autour de Paris qui a plus de transports en commun.

[ SOURCE : INSEE, “La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances”, 2021, Figure 2.a, Données 2017 ]

Pour beaucoup de gens, le coût du plein de carburant, c’est le coût de se déplacer pour aller bosser, le coût d’aller voir des amis, d’emmener les enfants à l’école, de passer faire les courses ou d’aller chez le médecin. On comprend que c’est un prix sensible, si sensible que l’augmentation de quelques centimes des taxes sur les carburants a été l’un des déclencheurs du mouvement des Gilets Jaunes, à la fin de 2018.

 

D’un autre côté, le gros du pétrole qu’on importe à coup de dizaines de milliards d’euros chaque année, c’est pour rouler. Et tout ce pétrole qui fait nos pleins d’essence ou de diesel, c’est le premier contributeur au réchauffement climatique en France.

Regardons les chiffres. Les voitures particulières et les deux roues, c’est plus de 16% des émissions de gaz à effet de serre sur notre territoire. Si on ajoute les utilitaires, les camions et les poids lourds, on arrive à 28.5 % de nos émissions. Rouler au pétrole, c’est un gros quart de l’impact sur le climat en France. C’est un gros bout du problème.

Pour diminuer ces émissions, on peut souhaiter des prix de l’essence et du diesel élevés. Plus c’est cher de faire son plein, plus les alternatives au pétrole deviennent économiques, que ce soit la marche, le vélo, électrique ou non, les transports en commun, ou les voitures électriques. C’est d’ailleurs la principale justification des “taxes carbone”.

 

On a donc d’un côté envie de baisser les prix pour que les gens qui dépendent de la voiture puissent aller bosser, se déplacer dans leur vie de tous les jours sans être étranglés par des des prix à la pompe élevés, et de l’autre, on a envie d’accepter des prix de l’essence élevés pour tenir nos objectifs climatiques. Sacré dilemme.

Mais justement, avant de trancher ce dilemme, avant de décider s’il faut faire monter ou baisser le prix du plein, si on doit choisir entre fin du monde et fin du mois, il faut commencer par une autre question, une question qui n’est quasiment jamais posée, mais qui est pourtant essentielle.

Est-ce que c’est plus cher de rouler aujourd’hui ? Est-ce que le prix du plein d’essence et de diesel a beaucoup augmenté depuis 10, 20, 30 ans ?

 

Les prix à la pompe augmentent

 

Commençons par la question la plus simple : combien ça coûte de faire son plein aujourd’hui ?

 

Fin octobre 2023, au moment où nous tournons la vidéo, les prix de l’essence et du diesel sont proches de leurs plus hauts historiques, pas loin de 2 euros le litre. Et quand on regarde l’évolution du prix des carburants depuis les années 1990, on voit une explosion sur les trente dernières années.

Le gazole en juillet 1998, quand la France a gagné sa première coupe du monde de foot, c’était 4 francs 19 soit 64 centimes d’euros le litre. Trois fois moins qu’aujourd’hui !

 

Mais évidemment, il ne faut pas s’arrêter là. Comparer 1 euro d’aujourd’hui à l’équivalent d’ 1 euro en 1998 ou en 2000, ça n’a pas de sens. Ces “euros”n’ont pas la même valeur. En 25 ans, tous les prix ont augmenté. C’est l’inflation, la monnaie a perdu de la valeur.  Si on veut se faire une idée de l’évolution du prix de n’importe quoi sur 20-30 ans, que ce soit une baguette de pain, des habits, les loyers, un litre d’essence ou de diesel, il faut corriger ces prix de l’inflation. On obtient alors l’évolution de ce qu’on appelle en économie les “prix réels”.

 

En tenant compte de l’inflation, les prix réels augmentent… moins

 

Quand on met l’évolution du prix des carburants en euros d’aujourd’hui, l’augmentation est un peu moins violente.

Notre diesel à 64 centimes de 1998, quand on regarde ce qu’il représente en euros de 2023, il passe à 98 centimes. Les 85 centimes de l’an 2000 valent 1 euro 26 d’aujourd’hui.

Vous me direz, ça reste beaucoup moins cher que les prix actuels. C’est vrai.

 

Même en neutralisant l’inflation avec nos prix “réels”, on remarque que le diesel de 2023 est 2 fois plus cher que celui de 1990. Une multiplication par 2 en 30 ans c’est pas négligeable. Surtout que le sans plomb 95 n’a pris “que” 42 % sur la même période.  Que penser de ces augmentations ?

Il paraît utile de comparer la hausse des prix du carburants à l’évolution des prix d’autres achats essentiels : l’alimentation, les loyers, les vêtements.

Ce graph est super intéressant. On voit déjà que le prix réel des vêtements a baissé de 40% en 30 ans. C’est les fringues produites à l’autre bout du monde à bas coûts. Et si vous vous demandez ce que c’est que ces vaguelettes, bah c’est les soldes d’hiver et d’été 🙂

Le prix réel des loyers a augmenté, ce qui ne surprendra personne, mais la hausse n’est pas aussi important qu’on pourrait le croire. A logement comparable, les loyers étaient 20% plus chers dans les années 2000-2010 que dans les années 90. Et comme les loyers n’ont pas autant monté que l’inflation en 2022-2023, on est redescendu quasiment au niveau d’il y a 30 ans.

Par rapport aux loyers et aux vêtements, les hausses du diesel et de l’essence sont bien plus importantes. Mais quand on regarde les prix de l’alimentation, on trouve une augmentation assez semblable. Le prix des produits alimentaires a augmenté de 60% entre 1990 et 2021, et a même été multiplié par 2 au total quand on ajoute 2022 et 2023. Pas étonnant que de plus en plus de gens aient du mal à bien manger ces dernières années, ça coûte deux fois plus cher qu’il y a trente ans.

Donc oui, par rapport à d’autres achats essentiels, nos augmentations du carburant sont plutôt dans le haut du panier.

 

Mais attention, on est pas au bout de nos découvertes. Il y a plusieurs éléments décisifs qu’on a pas du tout pris en compte pour bien regarder à quel point rouler coûte plus cher aujourd’hui. Le premier c’est l’évolution de la consommation des voitures.

 

Avec le prix du kilomètre, deux histoires très différentes

 

Dans les années 1990, une voiture à essence moyenne consommait 8,6 litres aux 100 kilomètres, contre 6,8 aujourd’hui.

Les voitures diesel aussi consomment moins. La voiture diesel moyenne qui circulait il y a 30 ans consommait autant qu’une voiture essence actuelle 6.7 litres aux 100. La voiture diesel aujourd’hui c’est 5.9 l / 100.

Maintenant qu’on a l’évolution des prix des carburants ET l’évolution de la consommation moyenne des voitures, on peut savoir combien ça coûte de parcourir 1 kilomètre en voiture et comment ce prix a évolué avec le temps..

Pour les voitures à essence, grâce aux progrès des moteurs, le prix du kilomètre n’a quasiment pas bougé en 30 ans ! C’est fou : il gravite autour de 12 centimes le km avec un maximum à 14 centimes dans les années 2011-2013 pendant la crise de l’euro. Tous ces prix sont corrigés de l’inflation, ils sont en euros de 2023.

Pour les voitures diesel, c’est pas la même histoire. Dans les années 1990, c’était beaucoup moins cher de parcourir un kilomètre au diesel. Le kilomètre revenait à 6 centimes d’euros, aujourd’hui on est à 11 centimes ! 80 % (83%) d’augmentation !! Aujourd’hui, le kilomètre diesel coûte quasiment autant que le kilomètre essence.  

Mais attention, le gros de la hausse du prix du kilomètre diesel a eu lieu y a un bon moment, entre 1990 et 2005. Depuis 2005, c’est-à-dire depuis presque 20 ans, le prix du kilomètre diesel est resté assez stable : autour de 10 centimes d’euros.

C’est intéressant de noter ça, parce que dans les années 1990, les voitures diesel étaient rares, c’était 1 voiture sur 4. La grande diffusion du diesel s’est faite durant les années 2000 et ce n’est qu’en 2007 que le diesel est devenu majoritaire.

L’essentiel des rouleurs au diesel a connu la période de relative stabilité du prix au kilomètre qui a commencé en 2005.

 

Pour savoir si rouler pèse plus dans nos budgets, il faut également comparer l’augmentation du prix du litre, ou du kilomètre, à celle de nos salaires.Si le diesel coûte plus cher, et que nos salaires ont stagné, c’est pas la même histoire que si nos salaires ont doublé en 30 ans.

 

 

Le prix du carburant ou les salaires, qu’est-ce qui a monté plus vite ?

 

Alors, qu’est-ce qui a monté plus vite ? Le prix des carburants ou les salaires ? Pour répondre, on va regarder combien de kilomètres on peut rouler avec un SMIC.

Vous voyez qu’avec une voiture à essence moyenne, le nombre de kilomètres qu’on peut “acheter” est resté très stable. Le SMIC a suivi.

Pour le diesel par contre, on est passé de 20.000km en 1992 à moins de 12000 en 2022. On voit que le SMIC n’a pas du tout suivi le coût de rouler au diesel. Mais on voit aussi que le gros de la perte s’est fait y a longtemps, dans les années 90-2000.  Pendant les 15 années de 2005 à 2021, le nombre de kilomètres qu’on peut faire au diesel avec un SMIC a oscillé avec les prix du pétrole, mais il n’a pas baissé. Intéressant.

Et les classes moyennes ?

Bah quand on regarde les kilomètres qu’on peut acheter avec le salaire médian – le niveau de salaire où 50% des Français gagnent plus et 50% des Français gagnent moins – on retrouve une courbe semblable à celle des kilomètres au SMIC : essence stable et diesel qui a pas mal augmenté dans les années 90-2000.

 

Alors, c’est bon ? On est arrivé au bout de notre histoire ?

Et bien non, pas encore. Il y a un dernier paramètre très important qu’on doit ajouter à notre histoire, pour vraiment comprendre quels automobilistes ont vécu les 30 dernières années à la cool, et lesquels ont bien douillé. Ce paramètre mystère, c’est le nombre de kilomètres qu’on parcourt.

Parce que oui, si ça ne coûte pas beaucoup plus cher de faire un kilomètre, mais que je dois rouler beaucoup plus, rouler peut me coûter beaucoup plus cher qu’avant. Inversement, si je roule au diesel mais que je fais 2 fois moins de kilomètres qu’il y a 30 ans, alors ça va.

Alors, est-ce qu’on roule plutôt plus loin ou moins loin qu’avant ?

 

 

On roule plus loin pour aller au travail

 

Le trajet du quotidien par excellence, c’est le trajet pour aller bosser. Celui-là, on peut pas y couper il faut le faire et, pour beaucoup de Français – environ les 3 quarts – ça passe par la voiture.

Le trajet domicile travail médian c’est 7.8 km. Ça veut dire que la moitié des Français fait + de 15 bornes aller retour pour aller travailler, et la moitié fait moins.

Mais cette médiane pour la France, elle cache des grandes différences selon l’endroit où on habite. Une personne résidant en ville fera plutôt 6 km pour aller au boulot alors que dans le rural ce sera 12.5 km ! 25 km aller retour dans la journée.

Et pire que ça, avec les années, la disparité entre villes et campagnes n’a fait que s’accroître. En 1999, un travailleur rural habitait 70 % plus loin de son travail que son homologue urbain, en 2019, c’est 2 fois plus loin. Ceux qui habitaient déjà le plus loin de leur travail sont ceux qui s’en sont le plus éloignés. Forcément, le prix des carburants fait plus mal et même de plus en plus mal aux ménages ruraux. Imaginez qu’en plus, ils roulent depuis 30 ans au diesel et vous commencez à entrevoir le problème.

On peut même parler des cas les plus difficiles. L’INSEE nous permet d’avoir les distances médianes domicile-travail pour les travailleurs ruraux de chaque département.

On voit que dans la grande couronne parisienne ou les communes rurales autour de Toulouse, les gens habitent à 20 km du taff. Et c’est une médiane. Ça veut dire que dans ces départements, la moitié des automobilistes fait plus de 40 km aller retour pour aller travailler.

 

Dernier paramètre essentiel pour appréhender le coût de rouler en voiture, les revenus du ménage.

Si notre habitant rural est un cadre qui gagne bien sa vie, le budget carburant reste très supportable à la fin du mois. Alors que s’il gagne le SMIC ou pire, un SMIC à mi temps, les pleins vont vite peser très très lourd sur le budget.

En moyenne en France, l’essence et le diesel c’est 5.4 % du budget d’un ménage pauvre et seulement 1.8% de celui d’un ménage riche. Un ménage riche peut tout à fait payer son plein un peu plus cher. Pour les pauvres, c’est plus dur.

Et encore, là c’est la moyenne nationale. Si on regarde les gros rouleurs ruraux, on aura des écarts encore plus forts, et on aura pas de mal à trouver des gens pour qui la facture de carburant représente une énorme dépense.

 

Ces automobilistes ruraux, qui roulent beaucoup et qui ont des petits budgets, c’est ceux pour qui le prix à la pompe est le plus dur, c’est ceux qui sont dans la mouise à chaque montée du prix du pétrole, et donc du plein. C’est sur eux qu’il faut concentrer les aides quand les prix sont hauts, et pas sur les ménages aisés ou qui roulent peu. On développe ça bien plus en détails dans cette vidéo, qu’on a publié sur Osons Causer.