L'évasion fiscale des multinationales - Osons Comprendre

L'évasion fiscale des multinationales

Google, Amazon, Facebook ou Nike, les multinationales parviennent à ne payer que très peu d'impôt sur leurs profits colossaux. Comment s'y prennent-elles ? Combien cette triche fiscale coûte aux Etats ? Comment y mettre fin ?

  • Commentaires
  • Points clés
  • Sources et références

Commentaires

Seuls les membres abonnés peuvent poster un commentaire.

Je m'abonne

Points clés

  • Quand les multinationales ont recours à l’évasion fiscale, c’est avant tout pour échapper à l’impôt sur les bénéfices, sur les profits, qu’on appelle en France l’impôt sur les sociétés. Pour ne pas payer cet impôt, elles font disparaître leurs bénéfices des pays où ils seraient taxés “normalement” et les déplacent vers des filiales situées dans des paradis fiscaux.

 

  • Pour y parvenir, les multinationales mettent tout un tas de droits de propriété intellectuelle dans leurs filiales situés dans les paradis fiscaux puis facturent des royalties à leurs filiales des pays “normaux”. Ces royalties correspondent en gros aux profits faits dans les pays normaux. En un tour de passe passe, les profits sont donc déplacés du pays où ils ont été réalisés vers un paradis fiscal où ils ne seront pas taxés ou très peu. C’est la mécanique générale qu’on trouve derrière les noms exotiques, les double irish, les double dutch sandwich et j’en passe. Les montages sont compliquées, mais le principe est simple, et toujours le même.

 

  • L’évasion fiscale des multinationales concerne plus de 740 milliards de dollars déplacés dans les paradis fiscaux, un bon tiers du bénéfices total de ces entreprises. Ces bénéfices planquées font perdre aux Etats plus de 200 milliards d’impôts sur les sociétés, soit environ 10% de leurs recettes.

 

  • L’UE, et particulièrement la France, l’Allemagne ou encore le Royaume Unis sont des grands perdants de cette évasion fiscale. Ces pays perdent entre 20 et 25% du total de leur impôt sur les sociétés chaque année. C’est énorme.

 

  • Pour la France, on a même vu que les 12 milliards d’euros perdus chaque année représentent en réalité un tiers des recettes effectives de l’impôt sur les sociétés qui part en fumée pour se retrouver sur les comptes des multinationales. 12 milliards d’euros en moins pour les finance publiques de la France représentent l’équivalent de 316 euros d’impôts supplémentaires que chaque contribuable devra payer chaque années pour compenser ces pertes ! Si le contribuable ne paye pas la facture, l’évasion fiscale des multinationales se traduira par moins de services publics ou encore plus de dette publique. Mais dans tous les cas, c’est l’intérêt général qui perd.

 

  • On a vu aussi que d’autres grands perdants auxquels on pense pas toujours sont les PME, les petites et moyennes entreprises qui ne se battent pas à armes égales avec les multinationales, puisque les profits des multinationales sont artificiellement boostés par la triche.  Bien sûr, les multinationales et leurs actionnaires sont les grands gagnants de cette évasion fiscale qui explose depuis les années 1980, aidées par la libéralisation de la finance et l’accélération de la mondialisation.

 

  • L’évasion fiscale des multinationales n’existerait pas sans des Etats complices – les paradis fiscaux – qu’il faudrait plutôt nommer des parasites fiscaux. Ces parasites fiscaux ne sont pas que des petites îles perdues au milieu des océans. Les principaux paradis fiscaux pour multinationales se trouvent au coeur de l’UE.  Plus de 80% de l’évasion fiscale des multinationales en France passe par quatre pays de l’UE : les Pays Bas, l’Irlande, le Luxembourg et la Belgique.

 

  • Les Pays-Bas, par exemple, ont gagné plus de 10 milliards d’euros en 2017 en parasitant les autres pays européen. Cela représente quatre fois le montant de leur contribution nette au budget de l’UE. L’Irlande, le Luxembourg ou encore la Belgique suivent le même modèle.

 

  • Comme les règles fiscales ne se changent qu’à l‘unanimité dans l’UE, les tentatives récentes de la Commission européenne pour limiter l’évasion fiscale en Europe ont pour le moment été un échec. Mais nous ne sommes pas condamnés à l’impuissance. L’armée de juristes des multinationales pourrait se trouver impuissante face à une solution simple proposée notamment par l’économiste Gabriel Zucman : regarder combien une multinationale gagne dans le monde entier et la taxer dans notre pays en proportion des ventes qu’elle y fait. Cette solution n’est pas parfaite, mais elle est beaucoup mieux que ce qui se fait aujourd’hui, et elle peut être décidée par un Etat seul, sans attendre que tout le monde se mette d’accord.

Sources et références

L’exemple du Double-Irish de Google.

 

Le “Double-Irish” de Google est un des schémas d’évasion fiscale les plus connus du grand public. S’il n’est aujourd’hui théoriquement plus en vigueur chez Google, il mérite néanmoins d’être décortiqué pour comprendre comment des multinationales font passer leurs profits de pays “normaux” – où l’impôt sur les bénéfices avoisine les 20-25 % – à des paradis fiscaux où ces derniers seront très peu taxés voire pas taxés du tout.

 

Voilà comment Google a évité de payer des impôts pendant de nombreuses années.

La maison mère de Google aux US, a d’abord créé Google Irelands Holdings, une entreprise immatriculée en Irlande mais taxée aux Bermudes. Oui, la loi irlandaise autorise ça.

Google a transféré à cette filiale les droits sur la technologie de Google : les algorithmes, les techno de cryptage etc etc

Google Ireland Holdings vendait alors une licence pour utiliser cette technologie à une deuxième société irlandaise, Google Ireland Limited qui elle était bien taxée en Irlande.

Et c’est cette deuxième société qui facturait à son tour une licence aux filiales de Google en France, en Allemagne et aussi dans plein d’autres pays hors d’Europe pour pouvoir utiliser la techno Google.

Les profits remontaient donc en payant des royalties depuis les pays normaux vers la filiale 100% irlandaise, puis de la filiale 100% irlandaise vers la filiale irlandaise/bermudes, où ils finissaient taxés à 0%.

 

Combien représente l’évasion fiscale des multinationales ?

 

Mesurer l’évasion fiscale n’est jamais évident. Nous retenons les estimations fournies par l’économiste français Gabriel Zucman. Dans son travail “The Missing Profits of Nations”, réalisé avec les économistes Thomas Tørsloøv et Ludwig Wier, les profits placés dans les paradis fiscaux sont évalués à 741 milliards de dollars en 2017.

Ces 741 milliards de dollars représentent un gros tiers des bénéfices réalisés à l’étranger par les entreprises multinationales – 36 % pour être exact. Ces milliards de profits ont été “déplacés” vers les paradis fiscaux.

Ce chiffre est une moyenne mondiale. Lorsqu’on regarde les multinationales américaines, la proportion de profits évadés explose.

La part des profits planqués dans les paradis fiscaux par les multinationales américaines dépasse aujourd’hui les 60 %. Près d’un tiers des bénéfices sont déplacés artificiellement au Luxembourg, en Irlande, aux Pays bas ou dans les Caraïbes.

Dans les années 1980, les profits évadés ne représentaient “que” 20% du total des profits. L’évasion fiscale des multinationales a littéralement explosé avec la libéralisation de la finance et l’accélération de la mondialisation depuis les années 1980.

 

Qui perd à l’évasion fiscale ?

 

L’étude de Gabriel Zucman et de ses coauteurs nous permet de savoir combien les Etats du monde entiers ont perdu d’impôt sur les bénéfices du fait des 741 milliards de dollars de profits déplacés dans les paradis fiscaux. Remettons le même tableau que précédemment, mais en nous concentrant cette fois sur les “tax losses”.

 

Les services fiscaux du monde entier ont perdu 212 milliards de dollars de recettes fiscales en 2017 du fait de la triche des multinationales. C’est 9% des revenus de impôt sur les bénéfices qui s’évaporent du fait de cette évasion fiscale.

 

Parmi les grands perdants de ce jeu se trouve l’Union européenne. Les données statistiques [Table C4d, somme des pays de l’UE]  de l’article de Zucman nous permettent de savoir qu’en 2017, les pays de l’UE ont perdu 70 milliards de dollars de recettes fiscales, soit un tiers du total mondial. Cela représente tout de même 59 milliards d’euros qui ont disparu des budgets publiques européens.

 

Vous pouvez retrouver des estimations détaillées des pertes de l’évasion fiscale pays par pays sur le site missingprofits.world réalisé par Zucman et ses coauteurs.

 

Plus c’est rouge, plus les Etats perdent, et en vert vous avez à l’inverse les paradis fiscaux, l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, etc.

Vous le voyez, à l’intérieur de l’UE, les plus gros perdants sont la France, l’Allemagne et la Grande Bretagne qui perdent entre 20 et 25% de leurs recettes de l’impôt sur les bénéfices. Poof un un quart de l’impôt sur les sociétés qui disparaît de ces pays à cause de l’évasion fiscale des multinationales.

 

Evidemment, l’UE n’est pas la seule perdante dans le monde. Les Etats-Unis perdent aussi 19% de leur impôt sur les bénéfices chaque année, ce qui fait quand même 65 milliards de dollars.

Beaucoup de pays, notamment en Afrique, sont en beige sur la carte par absence de statistiques. Attention toutefois, ne pas avoir de statistiques ne signifie pas que les multinationales y payent leurs impôts “normalement”. Vous trouvez de nombreux travaux universitaires et d’ONG qui ont montré que les multinationales avaient une politique fiscale hyper agressive en Afrique par exemple.

 

Donc toutes ces pertes, il importe de les considérer comme un minimum, le minimum de ce qui a été bien identifié et documenté par les chercheurs.

 

Et la France dans tout ça ?

 

En France, vous pouvez le voir en cliquant sur notre pays sur la carte de Missing profits, c’est 40 milliards de dollars que les multinationales ont déplacé en 2017 dans des paradis fiscaux.

 

Ces 40 milliards de dollars de profits évadés ont permis aux multinationales d’économiser 13.3 milliards de dollars d’impôt sur les sociétés. 13,3 milliards de dollars, ça fait presque 12 milliards d’euros.

Ces 12 milliards d’euros, nous les “perdons” au profit de pays européens : le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et l’Irlande concentre à eux seuls 80 % des recettes fiscales que nous perdons chaque année.

Que représentent ces 12 milliards d’euros qui, en 2017, ont manqué aux budgets publics ?

Pour mesurer l’importance de cette perte, nous allons comparer ce total d’impôts évités au total de l’impôt sur les société “net” effectivement collecté en 2017. Nous insistons sur le “net” parce qu’une grande partie de l’impôt sur les sociétés payés d’une main par les entreprises leur est rendue de l’autre sous forme de crédit d’impôt (Crédit d’impôt compétitivité emploi, Crédit d’impôt recherche etc.).

Ces 12 milliards d’euros qui manquent à la France en 2017, ça représente une perte de 22% de toutes les recettes de l’IS en France. C’est énorme !

Ce chiffre nous est donné par la très officielle Cour des comptes (p.25).

 

Nos presque 12 milliards d’euros de recettes perdues à cause des multinationales représentent en réalité un tiers des recettes de l’impôt sur les société effectivement payé par les entreprises de France en 2017.

 

Autre manière de se représenter ce chiffre de 12 milliards d’euros qui manquent aux budgets publics, c’est de regarder combien cette somme représente “par Français” ou, mieux lorsqu’il s’agit de grandeurs “fiscales”, par “contribuable français”.

En 2017, il y avait un 37.7 millions de foyers fiscaux en France [ Source : Rapport d’activité de la DGFIP 2019, p.50 ]  Arrondissons à 38 millions de contribuables. 12 milliards divisés par 38 millions, cela représente un total de 316 € annuels de surcoût d’impôt à payer pour chaque foyer fiscal de France !

Il faudra donc compenser les 12 milliards d’euros que les tricheurs n’ont pas payés OU en augmentant les impôts de tout le monde de 316 euros par an OU en baissant d’autant les dépenses publiques (moins de services publics d’éducation, de santé etc. ) OU en augmentant la dette publique. Un mélange des trois solutions est évidemment envisageable.

Dans tous les cas, l’immense majorité des Français perd parce que quelques multinationales trichent avec l’impôt. Et ne parlons pas des PME qui souffrent de la concurrence déloyale d’entreprises qui ne payent aucun impôt sur leurs colossaux bénéfices.

 

Qui gagne à l’évasion fiscale ?

 

Les gagnants “évidents” sont les multinationales elles-mêmes et leurs actionnaires qui, grâce à un impôt sur les bénéfices dérisoires, peuvent garnir d’autant les dividendes qu’ils se versent. Au-delà de ces gagnants évidents à l’évasion fiscales des multinationales, nous voulons attirer l’attention sur les quelques pays qui tirent leur épingle de ce jeu : les paradis fiscaux.

 

Ces paradis fiscaux, ce sont des parasites fiscaux. Grâce à leur impôt sur les bénéfices dérisoire, ils attirent de grandes masses de profits réalisés ailleurs. Et leur petit taux d’impôt finit par rapporter à ces pays des milliards.

Prenons les Pays-Bas par exemple. Toujours grâce aux travaux de Gabriel Zucman et de ses collègues, on sait qu’en 2017, ils ont gagné 10.5 milliards de dollars de profits fiscaux grâce à l’évasion fiscale des multinationales qui passe par leur pays.

Des pays comme les Pays-Bas, le Luxembourg ou la Belgique poussent le vice du parasitisme fiscal assez loin. Ces pays ont un taux d’impôt sur les bénéfice tout à fait “normal” pour leurs entreprises domestiques.

Antoine Deltour a révélé dans les Luxleaks que le Luxembourg, qui pratique un taux “officiel” d’impôt sur les bénéfice de 25%, conclue discrètement une série d’accords bilatéraux secrets avec des multinationales pour très peu taxer les énormes profits rapatriés depuis d’autres pays européens comme la France.

Ces accords secrets entre un pays et une multinationale, on les appelle des “rescrits fiscaux”. C’est ce genre d’accord qu’ont utilisé par exemple Mcdonald’s ou Nike pour échapper à l’impôt en France.

 

Les solutions pour en finir avec l’évasion fiscale

 

L’économiste Gabriel Zucman propose, dans cette vidéo, une idée très intéressante pour mettre fin radicalement et simplement à l’évasion fiscale des multinationales.  Cliquez sur cette image pour lancer la vidéo et écouter son explication.

 

Bon, bah c’est très clair. On espère pouvoir l’inviter bientôt sur Osons Causer pour discuter de cette solution et de toutes ses recherches passionnantes.