Nucléaire et climat : le grand malentendu - Osons Comprendre

Nucléaire et climat : le grand malentendu

Il y a peu de sujets aussi controversés que le nucléaire. Commençons par la question majeure du climat : l'énergie nucléaire est-elle un allié ou un ennemi dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

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Points clés

  • Le nucléaire est effectivement une des sources d’énergie qui a le moins d’impact sur le climat. Dans le monde selon le GIEC, le nucléaire, avec ses 12g CO2e/kWh, se classe parmi les énergies les moins émettrices de GES.

 

  • Le nucléaire français est lui à la pointe des énergies décarbonées. Sur tout son cycle de vie, en prenant tout en compte de la mine au démantèlement, le nucléaire français émet 5.3 g de CO2e/kWh. Le nucléaire français est une des énergies les moins émettrices du monde.

 

  • Pour quelle raison ? Parce qu’une des phases les plus émettrices de gaz à effet de serre dans l’électricité nucléaire est l’enrichissement de l’uranium qui nécessite énormément d’électricité. En France, l’uranium est enrichi avec de l’électricité nucléaire – elle-même peu émettrice – et selon un procédé économe un énergie (l’ultra centrifugation) qui font de l’uranium français l’un des mieux enrichis du monde.

 

  • Attention toutefois, qualifier le nucléaire de très bonne énergie pour le climat ne veut pas dire que d’autres ne sont pas bonnes aussi. L’électricité éolienne ou hydroélectrique (les barrages) sont aussi excellentes avec entre 11 et 24 g de CO2e/kWh d’électricité produite.

 

  • Pour résoudre le problème du réchauffement climatique et diminuer nos émissions, le nucléaire est donc un outil utile. Le GIEC lui-même l’envisage dans tous ses scénarios de décarbonation.

 

  • Pour savoir s’il faut l’utiliser ou non le nucléaire pour limiter le réchauffement climatique , il faut comparer les qualité et défauts du nucléaire et des ENR pour arriver à 100% d’électricité bas carbone.

 

  • Dans tous les cas, la priorité climat est de sortir du charbon d’abord, du gaz ensuite, avant de sortir du nucléaire. Sortir du nucléaire de sert à rien pour le climat.

 

 

 

Sources et références

Combien chaque source d’électricité émet-elle de gaz à effet de serre ?

 

Pour savoir quelles énergies utiliser pour produire de l’électricité sans aggraver le réchauffement climatique, il faut pouvoir comparer les émissions de gaz à effet de serre de chaque énergie.

 

Pour comparer des énergies très différentes, il faut absolument compter les émissions de GES durant tout le cycle de vie de la production de l’électricité. Il faut compter les émissions nécessaires à la construction de la centrale thermique, du barrage, de l’éolienne etc. ainsi que les émissions induites par l’extraction, le raffinage et la combustion du fossile et il ne faut pas oublier les émissions liées au démantèlement des centrales.

 

Les analyses complètes des émissions de GES lors du cycle de vie s’appellent des ACV ou analyse cycle de vie.

 

La référence pour comparer entre elles les émissions des différentes sources d’électricité est la méta analyse du GIEC. La dernière date de 2014 et fait l’inventaire de toutes les publications scientifiques analysant les émissions de GES de chaque source d’énergie. Nous vous reproduisons dans ce tableau les valeurs médianes données par le GIEC. Toutes les données sont disponibles à la page 1335 du rapport.

 

On y voit que les sources d’électricité se distinguent en deux grands groupes (on en a évacuées certaines) : les énergies fossiles très émettrices (charbon et gaz) et les énergies bas carbone.

Parmi les énergies peu émettrices en GES, notons tout de même que le solaire photovoltaïque émet quatre fois plus que l’éolien ou le nucléaire.

Et dites vous que les chiffres de l’éolien et du solaire ne prennent pas en compte d’éventuelles émissions indirectes liées à la nécessité de stocker l’électricité des éoliennes ou des panneaux solaires pour gérer leur production variable. Or si on augmente fortement la part de ces ENR variables, qui produisent respectivement quand il y’a du vent ou du soleil, il faudra développer du stockage qui engendre des émissions (batteries, stockage dans des barrages, méthanisation, etc.).

L’impact total du solaire et de l’éolien sur le climat est donc probablement un peu plus grand si on les utilise massivement et qu’on doit gérer leur intermittence.

 

Comment est produite l’électricité en France et dans le monde ?

 

Maintenant qu’on sait quelles sources d’électricité émettent le plus de GES, regardons comment est produite l’électricité en France et dans le monde. Ça nous permettra de mesurer les efforts à fournir pour lutter contre le réchauffement climatique. Commençons par la France.

 

Voici comment ont été générés les 537.7 TWh d’électricité produite en France métropolitaine en 2019. Comme de coutumes pour l’électricité française, les données nous viennent de RTE et, plus précisément, de la page 24 de son Bilan électrique 2019.

 

On y voit la prédominance écrasante du nucléaire qui fournit 70.6 % de l’électricité en France. On y voit aussi que les sources d’électricité décarbonées produisent 92 % de l’électricité française.

 

Ces chiffres sont très différents de la moyenne mondiale. Voici les énergies qui ont produit l’électricité mondiale en 2017 selon le Key World Energy Statistics 2019 de l’Agence internationale de l’énergie.

 

Quand on compare les deux graphes, on voit tout de suite que l’électricité française est singulière. Dans le monde, 64.8 % de l’électricité est produite avec des énergies fossiles. Le nucléaire est beaucoup moins utilisé (10.3 %) et les énergies renouvelables hors barrages (solaire, éolien etc.) produisent 9 % de l’électricité – une proportion équivalente à l’électricité française.

 

Je ne résiste pas à vous recommander l’excellente plateforme “Eco2mix” de RTE. Elle donne, en temps réel, les sources de production d’électricité en France. Voici la production électrique française du samedi 28 mars 2020 (J14 de confinement) à 10h15.

 

 

30 ans pour décarboner entièrement le secteur de l’électricité

 

Le GIEC est formel. Si on veut avoir une chance de limiter le réchauffement climatique sous les 2°, il faut décarboner la production d’électricité dès 2050. Cela se voit bien sur ce graphique, tiré du Résumé à l’intention des décideurs du GIEC de 2014 (p.46).

 

Sur ce graphe, on voit les réductions d’émissions directes de GES nécessaires dans les différents secteurs pour coller au scénario “430-480 ppm CO2e” et ainsi avoir une chance de limiter le réchauffement climatique sous les 2°. Pour chacun des secteurs, il y a trois colonnes. La première représente l’objectif pour 2030, la suivante pour 2050 et la dernière pour 2100. Le trait en pointillé montres les émissions directes de GES de chaque secteur en 2010.

 

Intéressons-nous au secteur de l’électricité en jaune. On y voit que, dès 2050, il faudra parvenir réduire les émissions directes du secteur électrique à zéro. Ils envisagent même de rendre ces émissions négatives grâce aux technologies, pour le moment tout à fait expérimentales et hypothétiques, de “capture de carbone”.

 

Nous avons donc 30 ans pour décarboner complètement l’électricité. Et si on échoue à le faire, on met en péril toute la transition énergétique.

 

 

En France, combien l’électricité nucléaire émet-elle de GES ?

 

Entrons dans le détail des émissions de GES de la filière électro-nucléaire française. L’étude de référence sur la France est celle des ingénieurs au Centre d’énergie atomique Poinssot, Bourg et al. publiée en 2014 dans le revue scientifique Energy.

 

Cette étude est une “Analyse cycle de vie”. Elle mesure les émissions liées à la construction des centrales, à l’extraction et à l’enrichissement d’uranium, au fonctionnement des centrales, au transport et à la gestion des déchets, le démantèlement prévu. Bref : y’a toutes les étapes de la vie d’une centrale nucléaire et de son fonctionnement qui sont analysées pour savoir à chaque étape combien on émet de CO2. Ensuite on ramène ce total de CO2 émis à toutes les étapes à la quantité d’électricité que les centrales produisent sur leur vie entière, et ça nous permet de savoir combien de CO2 le nucléaire français émet au total, tout compris, par kWh d’électricité produite.

Voilà le graphique qui montre les émissions de GES par poste pour l’ensemble du cycle de vie de la filière électronucléaire française.

 

L’électronucléaire français émet, sur tout son cycle de vie, 5.29 g de CO2e par kWh d’électricité produit ! C’est donc bien en dessous de la médiane mondiale que donne le GIEC à 12 g de CO2e/ kWH.

 

Le nucléaire français, en comptant tout, de la mine au stockage, émet moins de 5.3 g CO2e/kWh. C’est donc une des sources d’électricité les moins carbonées au monde.

 

La question clé de l’enrichissement de l’uranium.

 

Si les émissions du nucléaire français sont si basses par rapport à la médiane mondiale, c’est avant tout grâce à l’enrichissement de l’uranium.

 

Cette étape est extrêmement vorace en électricité. L’uranium est enrichi en France à l’usine George Besse alimentée par les réacteurs nucléaires de la centrale de Tricastin. L’enrichissement se fait donc avec une électricité elle-même décarbonée, d’où un niveau d’émission GES si bas. Largement plus bas que le nucléaire chinois où l’uranium est enrichi avec une électricité produite encore en grande partie par des centrales à charbon par exemple.

 

Et depuis 2012, la France a encore amélioré son procédé d’enrichissement d’uranium. L’usine d’enrichissement George Besse 2 utilise à présent la technologie de centrifiguation. Cette dernière consomme 50 fois moins d’énergie électrique que la méthode précédente de diffusion gazeuse.

 

Cela veut donc dire que le nucléaire français émet encore moins de GES que l’étude de 2014 que l’on site plus haut. Les auteurs ne pouvaient à l’époque évaluer les émissions d’enrichissement de l’usine George Besse 2. On peut donc penser que les 0.63 gCO2e/kWh émis par l’enrichissement seront fortement divisés, potentiellement par un facteur 50. Il est ainsi vraisemblable que le nucléaire français émette, au total, seulement 4.7 g CO2e/kWh.

 

Mais attention, si l’étude surestime l’étape de l’enrichissement de l’uranium, elle sous-estime sûrement de quelques dixièmes de grammes également l’étape du stockage à long terme des déchets les plus dangereux, prise en charge par le projet CIGEO, comme on va le voir maintenant.

 

 

La gestion des déchets nucléaires : combien de GES ?

 

 

On remarque que le stockage des déchets nucléaires est, selon cette étude, un poste très faible d’émissions de GES (0.1 g CO2e/kWh) soit 2% du total.

 

Toutefois, au moment de l’étude, le projet CIGEO d’enfouissement des déchets les plus dangereux n’était pas encore très avancé, et les émissions comptées pour cette partie de la gestion des déchets sont sûrement trop basses, possibilité que l’on évoque rapidement dans la vidéo.

 

Le projet CIGEO mené à terme est une installation en béton à 500 mètres sous terre qui occasionne des émissions supplémentaires.

 

Toutefois, on a vu que la construction ET le démantèlement d’une soixantaine de centrales nucléaires ne contribuait au total « que » pour un peu plus de 2g CO2 e/ kWh.

 

Le projet CIGEO, mené à terme, pourra donc alourdir l’impact carbone de la filière nucléaire française de quelques dixièmes de grammes.

 

Comme on le dit dans la vidéo, si l’on imagine un scénario vraiment défavorable, où la gestion de ces déchets est hyper compliquée, on peut imaginer par sécurité que ça pourrait faire monter la note d’1 gramme, 2 si on veut compter extrêmement large. Mais même dans ce cas ça ne portera le total qu’autour des 6-7g CO2 eq / kWh.

 

Mais l’hypothèse raisonnable est cependant plus de l’ordre de quelques dixièmes de grammes. Mais il faut noter cette limite de l’étude de 2014.

 

Au total on peut retenir que l’étape de l’enrichissement de l’uranium est surestimée de quelques dixièmes de grammes, et celle de CIGEO est sûrement sous-estimée de quelques dixièmes de grammes également.

 

 

Le nucléaire à 66 g CO2e/kWh : que vaut cette étude ?

 

Vous avez peut-être entendu certains responsables politiques ou associatifs citer un chiffre affirmant que l’électricité nucléaire émet, sur tout son cycle de vie, 66 g CO2e/kWh.

 

Ce chiffre provient d’une ancienne méta-analyse de 2008 compilant plusieurs études des émissions de GES de l’électricité nucléaire dans plusieurs pays du monde.

Cette étude comporte plusieurs lacunes et, fondamentalement, n’est pas pertinente pour la France.

 

D’abord, cette étude ne compile pas que des chiffres provenant d’analyse de cycle de vie. Les chiffres avancés sont donc sujet à caution. Et surtout, le chiffre de 66 g CO2e/kWh est une moyenne de toutes les études.

Or, méthodologiquement, il est plus rigoureux de retenir la médiane. Considérer la moyenne donne plus de poids aux valeurs hautes et tire ainsi le chiffre vers le haut. Le GIEC par exemple, considère la médiane de toutes les études retenues pour avancer le chiffre de 12 g CO2e/kWh, et le fait pour toutes les sources de production électrique.

 

Et plus fondamentalement, l’étude de 2008 ne doit pas être considérée comme représentative du nucléaire français.

Cette étude donne la moyenne de différentes études sur différents pays. Parmi les pays étudiés, de nombreux enrichissent leur uranium avec de l’électricité carbonée ce qui fait grimper de beaucoup les estimations.

 

La méta analyse de 2008 cite d’ailleurs elle-même une vieille étude de 2003 qui s’applique spécifiquement au cas du nucléaire français.

 

On voit donc que, dans l’étude de 2008 elle-même, le nucléaire français n’émet pas du tout 66g mais entre 7.6 et 14.3 gCO2e/kWh.

 

Citer le chiffre de 66g de GES pour le nucléaire français est donc un non-sens ou, pire, une pure manipulation.

 

Le chiffre à retenir pour le nucléaire français est 5.3 g CO2e/kWh et pour le nucléaire mondial 12 g CO2e/kWh (GIEC 2014).