Nucléaire : un atout pour l’indépendance de la France ? - Osons Comprendre

Nucléaire : un atout pour l’indépendance de la France ?

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Le nucléaire peut-il servir à l'indépendance énergétique de la France ? Pour de Gaulle, c'est oui : le nucléaire remplace avantageusement le pétrole et le gaz, des énergies fossiles qui nous coûtent des milliards. Pour d'autres, le nucléaire nous rend dépendant de l'uranium qu'on importe, du Niger ou du Kazakhstan. Qu'en est-il vraiment ? On fait le point dans cette vidéo.

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Points clés

  • L’énergie nucléaire oblige la France à importer de l’uranium. Notre pays est à 100% dépendants des importations pour trouver la matière première des centrales nucléaires : l’uranium naturel ou yellow cake. Seulement, cette dépendance ne rend pas du tout la France vulnérable géopolitiquement. Comment expliquer ce paradoxe ?

 

  • Première sécurité, la France contrôle – via les concessions minières appartenant à l’entreprise publique Orano – l’équivalent de 20 ans de consommation nationale d’uranium.

 

  • Deuxième sécurité : la diversité des fournisseurs. De nombreux pays peuvent nous vendre de l’uranium et parmi eux, notons la présence de deux pays riches, démocratiques qui disposent de très belles réserves: le Canada et l’Australie. Il est très improbable que notre accès à la matière première de nos centrales soit coupé, même en cas de conflit avec un de nos fournisseurs historiques, par exemple au Niger ou au Kazakhstan.

 

  • Troisième sécurité : la France est assise sur des stocks stratégiques d’uranium qui représentent 15 ans de production électrique. Des stocks de 15 ans représentent une protection stratégique inestimable pour notre pays. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que nos stocks de gaz ou de pétrole ne représentent que quelques mois de notre consommation, nous laissant ainsi totalement à la merci d’une pénurie ou de bouleversements géopolitiques.

 

  • Le vrai enjeu géopolitique du nucléaire, c’est celui du risque de se comporter en puissance néocoloniale, particulièrement en Afrique. Ce comportement n’est, du reste, pas nécessaire. On pourrait tout à fait payer davantage l’uranium en sortie de mine puisque l’uranium ne représente qu’une faible part du coût de l’électricité nucléaire.

 

  • Ce faible coût de l’uranium permet aussi de protéger le consommateur d’une explosion soudaine des coûts de la matière première. Si le prix de l’uranium monte, les factures d’électricité ne vont pas exploser. En comparaison, chaque montée des prix du gaz et du pétrole nous met dans le dur.

 

  • Le gros du coût de l’électricité nucléaire, et donc de la valeur ajoutée, c’est la transformation de l’uranium en électricité. Tout cela se fait en France. Voilà qui explique comment le nucléaire peut générer 220 000 emplois tout en rapportant, chaque année, 5 milliards d’euros nets à notre pays.

 

Sources et références

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La France est dépendante des importations d’uranium

 

Peu de gens le savent, mais la France a été un temps productrice d’uranium. En France, on a exploité plus de cent petites mines d’uranium, principalement dans le Limousin et l’Ouest du pays.

Dans les années 80, ces mines ont produit + de 3000 tonnes d’uranium naturel/an.

C’est pas rien, c’est un peu moins de la moitié des 8000 tonnes qu’on consomme aujourd’hui chaque année.

Bon malheureusement, le graph est éloquent : les mines d’uranium, en France, c’est fini.

C’est pas complètement fini, il en reste un peu dans le sol, mais les gisements sont si peu concentrés qu’aujourd’hui, c’est pas rentable d’extraire le peu d’uranium qui reste dans notre sous-sol.

 

Depuis les années 2000, la France importe la totalité de l’uranium naturel dont elle a besoin pour faire tourner ses centrales. La question c’est d’où ?

Ces 10 dernières années, notre premier fournisseur d’uranium, c’est le Niger, avec plus d’un tiers de nos importations. Le Niger nous fournit de l’uranium depuis bien longtemps. Les premiers projets là-bas datent des années 1960, avec la mine d’Arlit en 1968, et celle d’Akokan dans les années 1970.

 

On voit aussi le poids non négligeable du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan qui font un quart de nos imports à eux deux. La Namibie et l’Afrique du Sud ajoutent 10%. Le Canada et l’Australie font 15%.

Vous le saviez, vous, qu’on achetait de l’uranium au Canada et à l’Australie ?

En réalité, ces deux pays riches démocratiques ont de grandes réserves d’uranium.

L’Australie a même les plus grandes réserves du monde.

Quand on regarde l’évolution des importations d’uranium dans le temps, on remarque que la quantité importée varie. Certaines années, on achète beaucoup plus d’uranium que ce qu’on consomme, d’autres moins.

Autre remarque : on passe aisément d’un fournisseur à l’autre, les quantités importées varient beaucoup d’une année sur l’autre. Intéressant.

Bien sûr, le poids de l’Afrique dans nos importations soulève des questions. Quel est le poids de la Françafrique dans les mines du Niger ou de Namibie par exemple ?

Des livres ont exploré cette histoire de l’uranium. On suspecte que plusieurs coups d’Etat qui ont fait tomber des dirigeants nigériens ont pu être motivés, au moins en partie, par la volonté de ces dirigeants de renégocier les prix de l’uranium en sortie de mine. Pareil, des enjeux existent autour de l’exploitation des mines et de la santé des mineurs.

[ SOURCES : Gabrielle Hecht, Uranium africain : une histoire globale, Le Seuil, 2012 (1ère éd.) // Raphaël Granvaud, Areva en Afrique : une face cachée du nucléaire français, Agone, 2012 ]

Et comment ne pas évoquer le scandale “Uramin” ? En deux mots, il s’agit de gisements d’uranium achetés – avec moult magouilles et corruption – par Areva en 2007. Ces gisements se sont révélés inexploitables, occasionnant plus de 3 milliards d’euros de pertes sèches pour l’entreprise publique.

Mais revenons à nos moutons, maintenant qu’on connaît les pays où la France achète son uranium, on peut poser la question : la France est-elle fragile, vulnérable, dépendante de ces pays ?

 

Les importations d’uranium ne sont pas un risque pour la France

 

Première chose à savoir sur l’approvisionnement de la France en uranium, c’est que notre pays contrôle de nombreuses mines d’uranium dans le monde.

C’est l’entreprise publique “Orano” (le nouveau nom d’Areva) qui contrôle et exploite des mines au Canada, au Niger et au Kazakhstan et prévoit d’en ouvrir d’autres en Mongolie, en Namibie.

Au total, dans toutes les mines qu’elle exploite et contrôle, Orano à la main sur 161 218 tonnes d’uranium. Autrement dit, la France contrôle l’équivalent de plus de 20 ans de sa consommation annuelle d’uranium naturel via une entreprise publique.

Évidemment, ce chiffre choc est un peu caricaturé. Orano n’est pas seul propriétaire des mines, des compagnies d’État sont dans le deal. Orano ne vend pas son uranium uniquement à la France, faut pas prendre ces 20 ans au pied de la lettre mais plutôt comme une indication de la sécurité des approvisionnements en uranium.

Tous ces pays ne vont pas, en même temps, casser les contrats d’exploitation et exproprier Orano. L’État français a donc une visibilité et une maîtrise sur ses livraisons d’uranium via Orano.

 

Mais imaginons un scénario catastrophe, imaginons que, du jour au lendemain, la France soit privée de toutes ses livraisons d’uranium, – un tel scénario sur le pétrole mettrait la France à terre en quelques mois – que se passerait-il sur l’uranium ?

Si la France se retrouvait privée de son uranium du jour au lendemain, elle se retrouverait obligée de puiser dans ses stocks stratégiques. Ces stocks sont recensés par l’ANDRA – l’agence qui gère les déchets et matières radioactives – et regroupent différents types d’uranium (p.13). Pour calculer la marge de sécurité que nous accordent ces stocks, il faut les comparer à la consommation annuelle d’uranium que nous donne le Mémento sur l’énergie 2018 du CEA (p.

49).

Voici les tableaux de l’ANDRA et du CEA ainsi que les calculs des années de productions que nous accordent les stocks d’uranium de la France. 

Si l’on ajoute aux 39 800 tonnes d’uranium naturel les 3 380 tonnes d’uranium enrichi, la France dispose de suffisamment de stocks pour assurer plus de 8 ans de production électrique.

L’électricité nucléaire française ne sera donc pas menacée du jour au lendemain par des tensions sur l’approvisionnement en uranium.

 

Surtout qu’il y a encore un maxi bonus de sécurité : l’uranium appauvri, le “reste d’uranium” une fois qu’on l’a enrichi pour aller dans les centrales. Cet uranium appauvri, on en a plein, 324 000 tonnes et on pourrait, si on peut vraiment plus s’approvisionner en uranium naturel, ré-enrichir l’uranium appauvri.

Enrichir l’uranium appauvri coûterait plus cher mais est tout à fait faisable si la France se retrouve privée d’accès à la matière première. Cet uranium appauvri nous donnerait, si l’on en croit Orano, entre 7-8 ans de rab supplémentaire.

Bref : même en cas de cataclysme, si la France se retrouve coupée de toutes ses importations d’uranium, le pays dispose d’assez de stocks pour faire fonctionner les centrales nucléaires pendant 15 ans.  Avec cette marge de sécurité, impossible de dire que la France est “vulnérable” en raison de ses besoins en uranium.

 

Ça, c’est une énorme différence avec les énergies fossiles. La loi impose de stocker 29.5 % de la consommation annuelle de pétrole et 198 TWh de gaz. Cela représente à peine 5 mois et quelques conso de gaz et 3 mois et quelques de conso de pétrole.

 

 

Nucléaire : atout économique ou poids pour la France ?

 

Les importations d’uranium naturel ne coûtent pas très cher à la France.

A côté des dizaines de milliards d’euros qu’on débourse chaque année pour le pétrole et le gaz, la facture de l’uranium ne se voit presque pas.

Nos achats d’uranium naturel, c’est 704 millions d’euros par an en moyenne.

 

On s’est amusé à rapporter le coût de l’uranium, du pétrole  et du gaz à l’énergie qu’ils permettent de produire. C’est un calcul “à la louche” qui permet de se rendre compte des différences.

Notre calcul s’appuie sur le “Bilan énergétique de la France 2019” extrêmement complet publié par l’association Negawatt en 2022. 

La difficulté est de calculer la quantité précise d’énergie que la France a produite en 2019.

On ne peut pas s’appuyer sur la première “colonne” du diagramme les 2 957 TWh de “Sources primaires utilisées” (en bleu). Pourquoi ?

Parce qu’il existe de nombreuses “pertes énergétiques”. Les “pertes et autoconsommations” s’élèvent 818.9 TWh et sont particulièrement importantes pour l’énergie nucléaire. En effet, les deux tiers de l’énergie contenue dans l’uranium est perdue, sous forme de chaleur, dans le réacteur de la centrale.

On ne peut pas non plus s’appuyer sur l’avant-dernière “colonne” du diagramme, les 1 989 TWH de “Consommation d’énergie finale” (en vert). Pourquoi ?

Parce que la consommation d’énergie finale laisse de côté des TWh que nous avons pourtant produit : les 60 TWh d’excédents (en bas) que la France exporte, les 45.6 TWh consommés par les industries de l’énergie (en haut), les 44.7 TWh consommés ou perdus dans les réseaux de distribution (en haut) et, surtout, les 177.8 TWh (en rouge) de pétrole, de charbon ou de gaz qui sont utilisés non pour produire de l’énergie mais comme matière première pour des réactions chimiques (plastiques, engrais, ciment etc.).

Pour obtenir la production d’énergie “réelle” de la France il nous faut donc ajouter aux 1989 TWh de la “Consommation d’énergie finale” les 150.3 TWh (60+45.6+44.7) d’usages énergétiques mentionnés plus haut et retrancher les 177.8 TWh d’usage “matière”.  

On obtient donc 1961.5 TWh de production énergétique totale en 2019.

 

Maintenant que nous disposons du total d’énergie produite, nous pouvons y rapporter la quantité d’énergie fournie par nos différentes sources.

En consultant le diagramme (et en allouant correctement entre pétrole et gaz la part de GPL utilisée comme matériau), on remarque que le pétrole a fourni 760.7 TWh, le gaz 497.1 TWh et le nucléaire 377 TWh soit respectivement 38.8 % , 25.4 % et 19.2 % de l’énergie finale produite en 2019.

A présent, nous pouvons comparer le coût des importations nécessaires pour produire le même pourcent d’énergie finale avec soit du pétrole, soit du gaz, soit de l’uranium. Voici le détail des calculs.

    • PÉTROLE :Coût des importations de pétrole 2019 = 35 570 millions d’€ 2020 (voir graph ci-dessus)35 570 / 38.8 = 916.75 millions d’euros de pétrole importés pour produire 1% de l’énergie

    • GAZ FOSSILE :Coût des importations de gaz fossile 2019 = 8 843 millions d’€ 2020 (voir graph ci-dessus)8 843 / 25.4 = 348.15 millions d’euros de gaz fossile importés pour produire 1% de l’énergie.

    • URANIUM : Coût annuel moyen des importations d’uranium sur la période 2011-2020 (pour corriger des variations annuelle) = 704 millions d’€ 2020 (voir graph ci-dessus).704 / 19.2 = 36.67 millions d’uranium importés pour produire 1% de l’énergie

 

Il n’y a pas photo, la matière première “uranium” coûte beaucoup beaucoup moins cher que les énergies fossiles : 10 fois moins cher que le gaz et quasi 25 fois moins que le pétrole

Cet écart démentiel est dû à la fois à la spéculation sur le prix des fossiles et, aussi, à la terrible densité énergétique de l’uranium; qu’on ne se lasse pas de répéter, l’uranium est 10 000 fois plus dense en énergie que le pétrole ! Il faut très très peu d’uranium pour produire beaucoup d’énergie.

Ce qui coûte de l’argent dans la production d’électricité nucléaire, c’est pas tellement importer l’uranium, c’est le transformer en électricité.

 

 

Un prix élevé de l’uranium change peu le coût de l’électricité nucléaire

 

Aujourd’hui, le coût de la matière première “uranium naturel” ne représente, selon la SFEN, que 2 à 3 € par MWh produit en 2014 (SFEN, The cost of new nuclear power plants in France, 2018, p.49). En 2013, la Cour des comptes évaluait le coût de production de l’électricité nucléaire française à 59,8 euros/MWh en 2013 (Cour des comptes, Le coût de production de l’électricité nucléaire actualisation 2014, p.11]

L’uranium ne correspond donc qu’à 5 % du coût de l’électricité nucléaire. Le gros du coût du nucléaire, c’est l’enrichissement de l’uranium, pour pouvoir l’utiliser dans les réacteurs et surtout la construction, l’entretien et le démantèlement des centrales.

L’OCDE a cherché, dans un rapport de 2020, a estimé l’impact d’une hausse du prix de l’uranium dans le coût de production de l’électricité (p.88).

On voit sur ce graphique qu’une augmentation de 50 % du coût du combustible occasionnerait une hausse moyenne du coût de l’électricité nucléaire de 8%. Un doublement du coût du combustible impliquerait donc un enchérissement de 16% du coût de l’électricité.

Attention toutefois, le coût du combustible n’est pas le coût de l’uranium naturel (qu’il faut enrichir, raffiné etc.). Le même rapport de la SFEN enseigne (pp48-49) que l’uranium ne représente qu’environ un tiers du coût du combustible.

Si le prix de l’uranium double du jour au lendemain, le coût de production de l’électricité nucléaire n’augmentera donc que de quelques pourcents, au maximum un tiers de 16% soit 5%.

Pour une centrale électrique au gaz, c’est très différent. +100%, sur le prix du gaz, c’est +70% sur le coût de production d’une centrale au gaz. (graphique OCDE “Gas CCGT” en jaune). Cette sensibilité du prix de l’électricité au prix de la matière première “gaz”, l’Europe la constate à ses dépends avec l’invasion de l’Ukraine.

 

 

Les réserves d’uranium (rapide)

 

Au passage, ce faible impact de l’uranium sur le coût de l’électricité permet d’envisager d’exploiter des ressources d’uranium pas mal plus chères à miner qu’aujourd’hui.

Selon le “Livre rouge 2020” de l’OCDE sur les ressources, la production et la demande en uranium (p.10-12), les réserves mondiales identifiées et raisonnablement exploitables à un prix de l’uranium inférieur à 260 $ le kilo s’élèvent à 8 070 400 tonnes. En face, la consommation annuelle mondiale d’uranium naturel s’élève à 59 200 tonnes. Les réserves équivalent donc à 136 ans de consommation mondiale de 2019

Ces réserves sont probablement surestimées. Contrairement au pétrole, il y a eu peu d’exploration et de prospection minière pour l’uranium. Selon une thèse récente – portant spécifiquement sur cette question des réserves mondiales en uranium – les ressources réelles en uranium naturel pourrait être 5 à 10 fois plus importantes que les 8Mt identifiées (p.151).

 

 

Le nucléaire, atout économique pour la France

 

On l’a vu, le gros de la “valeur ajoutée” dans l’industrie nucléaire n’est pas dans l’uranium naturel qu’on importe à bas prix, il est dans la transformation. Ces étapes de transformations, qui concentrent l’essentiel de la valeur économique du nucléaire, elles sont toutes réalisées en France.

Résultat, selon les chiffres du Conseil National de l’industrie,  l’industrie nucléaire serait la 3ème industrie du pays, derrière l’aéronautique et l’automobile. On parle là de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel.

[ SOURCES : Conseil national de l’industrie, La filière nucléaire, 2019 et SFEN, Calculs des emplois de la filière nucléaire par région, 2017, p.11]

 

Mais ce n’est pas tout. La France exporte ses compétences nucléaires à l’étranger.

Toujours d’après le conseil national de l’industrie, la France exporte pour 4 milliards d’euros de services et de produits nucléaires chaque année à l’international. On parle là de conception, de maintenance, de conseil, de retraitement des déchets, de construction de tous les aspects de l’industrie nucléaire et même d’exportation d’uranium ou de combustible.

Ces 4 milliards, ça ne compte pas ce que gagne la France avec les exportations d’électricité à ses voisins.

Ces dix dernières années en moyenne, la France gagne 2 milliards d’euros d’électricité nets en exportant son électricité.

Résultat : quand on compte tout ce que la France gagne en exportant ses services nucléaires (4 mds /an) ou son électricité (1.9 mds / an) et qu’on retranche ce que coûtent les importations d’uranium (0.7 mds / an) on obtient le “bilan net du nucléaire”.

4 + 1.9 – 0.7 = 5.2

Le nucléaire est une industrie qui enrichit le pays d’environ 5.2 milliards d’euros chaque année.

 

Au lieu d’écrire chaque année un gros chèque aux pays pétroliers et gaziers, la France s’enrichit grâce à l’énergie nucléaire. L’énergie nucléaire est donc aujourd’hui incontestablement un atout pour l’économie française : notre pays gagne de l’argent et des emplois grâce à cette énergie.

Mais ce fleuron industriel apparaît aujourd’hui affaibli.

 

 

Une indépendance technologique en danger ?

 

Une des grandes forces du nucléaire français, c’est la maîtrise technologique de toute la chaîne de production, de la mine à l’électron. Toute la technologie nucléaire est maîtrisée par les acteurs de la filière : Orano, Edf et Framatome.

Mais ces dernières années, un certain nombre de choix industriels et politiques ont fragilisé cette maîtrise, cette indépendance technologique précieuses.

Le choix le plus choquant, c’est sans doute la vente d’Alstom énergie à l’américain General Electric. En acceptant ce rachat en 2014, la France a accepté de perdre la main sur un rouage essentiel d’une centrale nucléaire : la turbine Arabelle qui transforme la vapeur produite par le réacteur nucléaire en électricité.

Cette vente d’Alstom a enrichi de nombreux intermédiaires, dont le PDG d’Alstom du moment, Patrick Kron. On a retrouvé certains intermédiaires dans la liste des donateurs de la campagne 2017 de Macron, ce qui a suscité des soupçons sur les conditions dans lesquelles Macron a donné son accord, et une enquête a été ouverte en 2019 au Parquet National Financier.

Heureusement pour le pays, en 2022 Macron a repris ses esprits et a réparé sa faute de 2014. Il  a organisé le rachat des turbines  Arabelle par EDF.

Par contre la facture est salée, 1,2 milliards alors qu’à la vente c’était dans les 500 millions. Une grosse perte.

 

Autre sujet : le fleuron nucléaire russe, Rosatom, serait aussi de la partie et empocherait 20 % des turbines. Pas sûr qu’on garantisse l’indépendance du nucléaire français en aidant un concurrent. Affaire à suivre, et de près.

Derrière cette affaire, il faut comprendre qu’il y a aussi un état d’esprit des années 2000 et 2010.

On parle là de la période enchantée de “mondialisation open bar”, où les considérations de souveraineté, d’indépendance stratégiques, passaient largement au second plan.

Le journaliste Marc Endeweld raconte très bien cette période dans l’industrie nucléaire dans son livre l’Emprise, paru en 2022.  Il nous décrit comment, début des années 2010, des dirigeants d’EDF, d’Areva ont envisagé – avec la complaisance du pouvoir politique – de faire construire les nouveaux réacteurs nucléaires en France par des entreprises chinoises.

Bref, on est passé pas loin de perdre notre indépendance technologique sur le nucléaire.

 

Autre sujet de dépendance technologique, le recyclage de l’uranium. L’uranium usagé qui sort des réacteurs nucléaires peut être recyclé. Depuis 2018,, EDF a signé un contrat avec les russes de Rosatom pour qu’une partie de cet uranium soit recyclé en Russie.

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une perte de compétence – EDF va même relancer ce recyclage en 2023 – mais plutôt d’une sous-traitance pour économiser de l’argent. 

Bon, sur les techno, on a eu chaud, mais on s’en sort.  Le vrai problème, la vraie question, c’est les pertes de compétence sur la construction des centrales. On pense ici au fiasco de l’EPR de Flamanville

 

 

Plus inquiétant : la perte de compétences. Le fiasco de Flamanville.

 

Le réacteur Flamanville 3, ça devait être notre premier EPR  – un design de réacteur européen développé en collaboration avec les Allemands de Siemens – ça devait être le premier EPR construit en France, le premier du longue série.

En 2006, quand la décision de l’EPR de Flamanville est prise; EDF fanfaronne : ils annoncent construire le nouveau réacteur en 4 ans et demi pour un coût de 3,3 milliards d’euros.

https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/271429.pdf

Vous mesurez l’ampleur du fiasco : en 2022, la centrale n’est toujours pas en service et la facture s’est envolée. Fin 2019, le coût du chantier est estimé à 12,4 milliards d’euros.

Il y a de nombreuses raisons à ce fiasco industriel. La France n’avait pas construit de centrales depuis 1996 et la fin du chantier de Chooz (CHO) : on a perdu en compétences.

De plus, le chantier de Flamanville a été découpé entre différents opérateurs publics et privés, sans réelle direction centralisée.

Cet EPR était aussi un prototype. Les surcoûts et les imprévus sont courants pour les têtes de série de n’importe quel ouvrage de construction.

 

Depuis, d’autres EPR de même design ont été achevés et fonctionnent : 2 en Chine, à Taishan, 1 en Finlande à Olkiluoto. Si les EPR chinois ont été construits dans des délais raisonnables, l’EPR finlandais a eu 12 ans de retard, et le dernier projet d’EPR en cours, en Angleterre cette fois à Hinckley Point, ne sera pas mis en service avant 2026.

Face à ce fiasco des premiers EPR, des questions se posent : si la France se lance dans la construction de nouveaux réacteurs, comme Emmanuel Macron l’a affirmé en 2022, des EPR 2 cette fois, parviendra-t-on à ne pas reproduire les erreurs de Flamanville et à les construire dans des délais raisonnables ?

Est-ce que la filière française retrouvera la maîtrise de la construction et, avec elle, des coûts ?

On l’espère, mais ça sera dur d’en être certains avant de l’avoir vu de nos yeux.

Dans tous les cas, si les fleurons industriels français – EDF, Orano Framatome – ne réussissent pas rapidement à construire de nouvelles centrales, on pourra dire que la France aura perdu la maîtrise de cette énergie, le nucléaire, qui fait l’orgueil de nombreux dirigeants.