Sûreté des centrales nucléaires : comment on évite le pire ? - Osons Comprendre
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Points clés

  • La sûreté des centrales nucléaires est un des points les plus importants associés à cette énergie. Les réacteurs à eau pressurisée que la France utilise pour produire son électricité ne peuvent pas se transformer en bombe atomique. Ils utilisent trop peu d’uranium enrichi et leur réaction atomique s’arrête très facilement. Le grand risque de nos réacteurs est la fusion du cœur.

 

  • Un réacteur nucléaire non refroidi finit par tellement chauffer que l’uranium du combustible fond et se mélange avec les éléments qui l’entourent pour former un magma en fusion si chaud qu’il peut faire percer ou faire exploser l’enceinte en béton/acier qui entoure le réacteur. Cette fusion du cœur s’est produite dans les trois accidents majeurs qui ont touché des réacteurs nucléaires à forte puissance : Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima. Comment faire pour éviter cette fusion du cœur ?

 

  • Premier élément clef : concevoir la centrale avec le plus de marges possibles par rapport aux contraintes qu’elle va rencontrer. Le génie civil de la centrale doit résister aux pires séismes ou tempêtes imaginables, les pompes et tuyauteries doivent supporter des pressions et des températures bien supérieures à celles de leur fonctionnement normal etc. etc.

 

  • Second principe de sûreté, la diversification et la redondance des parades. Chaque fonction essentielle au réacteur doit être conçue en double (redondance) et comporter des parades en cas de (double) défaillance (diversification). Ainsi, le refroidissement d’un réacteur nucléaire à l’arrêt est assuré par 9 systèmes de tuyauteries et 7 alimentations électriques différentes. Il faudrait une défaillance combinée de tous ces systèmes pour que le réacteur ne soit plus refroidi et risque la fusion du cœur.

 

  • Et même dans ce cas là, une sûreté bonus est prévue : la FARN. Cette force d’action rapide peut se projeter en moins de 12 heures sur n’importe quel réacteur accidenté et en assurer de manière autonome le refroidissement. La redondance et la diversification des parades n’est pas simplement matérielle, les équipes humaines qui gèrent un accident nucléaire sont multiples et se concertent pour déterminer la meilleure tactique possible.

 

  • Si toutes ces parades échouent et que le cœur du réacteur fusionne, des parades sont prévues pour empêcher des rejets radioactifs contaminant les populations et l’environnement. Des récupérateur de corium sont prévus pour éviter que le magma du cœur en fusion ne contamine les eaux souterraines, des recombineurs d’hydrogènes sont installés dans les réacteurs afin de prévenir les explosions d’hydrogène et des systèmes d’aspersion d’urgence (EAS et EAS-u) sont installés pour empêcher la pression de trop grimper à l’intérieur de l’enceinte. Si par malheur ces dispositifs échouent à leur tour, les réacteurs nucléaires sont équipés d’un filtre à sable qui permet de contrôler et de diminuer les rejets de radioactivité.

 

  • L’idée de la sûreté nucléaire c’est de prévoir d’imaginer toujours le pire scénario, imaginer des échecs multiples et en cascade pour, toujours, trouver la parade et garder un coup d’avance, c’est ce qu’on appelle la “défense en profondeur”, un concept cardinal de la sûreté nucléaire. Autrement dit, c’est en gardant l’humilité de toujours considérer que la catastrophe est possible qu’on se prépare au mieux pour qu’elle n’arrive jamais.

Sources et références

Les centrales nucléaires en France

 

En 2021, la France avait 56 réacteurs nucléaires répartis sur 18 sites, qui produisaient environ 70% de l’électricité du pays. Le plus petit de nos réacteurs produit assez d’électricité pour alimenter une ville de 400.000 habitants c’est-à-dire des agglomérations comme celles de Rennes, Grenoble ou Montpellier.

Il existe plusieurs types de réacteurs nucléaires. Ceux qu’on retrouve dans les centrales françaises, c’est des réacteurs dits “à eau pressurisée” ou à “eau sous pression”. Ces réacteurs à eau pressurisée sont les réacteurs les plus utilisés dans le monde.

Ils fonctionnent avec trois circuits d’eau totalement indépendants : le circuit primaire – où se produit la réaction nucléaire – le circuit secondaire – où on produit l’électricité – et le troisième circuit, le circuit de refroidissement. En résumé, les 3 circuits d’une centrale nucléaire servent :

  • À transmettre la chaleur de l’eau sous pression du réacteur jusqu’à la turbine qui produit de l’électricité
  • À évacuer la chaleur du réacteur via la vapeur jusqu’à la source d’eau froide .
  • À bien confiner la radioactivité : Les 3 circuits sont prévus pour être absolument étanches et la radioactivité ne peut pas sortir du circuit primaire. Les eaux des circuits secondaires et de refroidissement sont donc absolument saines, sans aucune radioactivité.

Pour éviter de rejeter de l’eau trop chaude dans la mer ou dans le fleuve, certaines centrales sont équipées de “tours aéro réfrigérantes” qui refroidissent l’eau au contact de l’air avant de la rejeter. Grâce à ces tours, seule 5% de la chaleur de l’eau du circuit de refroidissement est rejetée dans le fleuve, 95% de celle-ci est évacuée dans l’atmosphère.
[ SOURCE : EDF, Centrales nucléaires et environnement. Prélèvements d’eau et rejets, pp.20-23 ]

 

Voici l’architecture et le fonctionnement “simplifiés” d’une centrale nucléaire. Si vous voulez aller plus loin, on vous recommande cette vidéo du Réveilleur qui vous expliquera tout dans les détails.

 

Une centrale nucléaire peut-elle exploser ?

 

Commençons par une question toute bête : peut-il y avoir une explosion nucléaire dans une de nos centrales ?

 

La réponse est non. Tchernobyl et Fukushima, ce n’était pas des explosions nucléaires mais des accidents avec rejets de radioactivité. Pourquoi est-ce que peut-on affirmer avec confiance qu’aucune centrale ne se transformera en bombe nucléaire ?

D’abord parce que l’uranium enrichi qu’on utilise dans nos centrales ne contient qu’entre 3 et 5% d’uranium 235, l’uranium fissile qu’on peut casser pour provoquer une réaction nucléaire.

Pour faire une bombe atomique, vous avez besoin d’un uranium beaucoup, beaucoup plus concentré en uranium 235. Si vous n’avez pas + 90% d’uranium fissile, pas de grosse explosion. L’uranium qu’on utilise dans nos centrales est donc bien trop peu enrichi pour faire boum. Pas de Hiroshima civil en vue donc.

[ SOURCES : SFEN, “Une centrale nucléaire peut-elle exploser ?” et “Peut-on fabriquer une bombe avec l’uranium utilisé dans une centrale nucléaire ?” ]

 

Et plus profondément, on maîtrise très bien la réaction en chaîne dans nos centrales.

Les opérateurs de la centrale nucléaire ont un moyen pour piloter la réaction. Pour accélérer ou au contraire ralentir la réaction en chaîne, les opérateurs plongent plus ou moins profondément des barres de contrôle dans le réacteur. Ces barres de contrôle contiennent des éléments chimiques – souvent du bore ou du cadmium –  qui absorbent les neutrons. Si on capture les neutrons, ils ne peuvent plus casser d’autres atomes d’uranium et la réaction en chaîne s’arrête.  Mécaniquement, plus on descend ces barres de contrôle dans le réacteur, plus on freine la réaction en chaîne jusqu’à l’arrêter. Les barres de contrôle ne sont d’ailleurs pas le seul système prévu pour moduler la réaction atomique. Le système RCV (pour “Circuit de contrôle volumétrique et chimique”) permet d’ajouter de l’eau borée dans le circuit primaire. Le bore absorbant les neutrons, cette eau borée permet le contrôle de la réaction en plus des barres de contrôle.

[ SOURCE : IRSN, Les accidents de fusion du coeur des réacteurs nucléaires de puissance : Etat des connaissances, 2013, p.16 ]

Ces barres de contrôle servent aussi de sécurité pour arrêter à tout moment le réacteur.

Dès qu’un problème survient  – une perte d’alimentation électrique, des paramètres qui déraillent dans tel ou tel aspect du réacteur – les barres de contrôle chutent automatiquement par gravité. Quand les barres de contrôle sont tombées entières dans la cuve du réacteur, la réaction en chaîne s’arrête totalement en à peine plus de 2 secondes. Les barres de contrôle sont un “arrêt automatique d’urgence”. Et si jamais, je sais pas pour quelle raison, les barres de contrôle ne tombent pas automatiquement, les opérateurs de la centrales peuvent actionner une commande manuelle directe qui fait tomber les barres.

[ SOURCE :  IRSN, Les accidents de fusion du coeur des réacteurs nucléaires de puissance : Etat des connaissances, 2013, pp 37-38 ]

 

Le gros du danger de nos centrales ne vient pas de l’emballement de la réaction en chaîne. Non seulement notre uranium n’est pas du tout assez enrichi pour que la réaction en chaîne puisse aller jusqu’à l’explosion nucléaire, mais en plus on maîtrise très bien cette réaction et on l’arrête automatiquement en littéralement 2 secondes en cas de problème.

 

Que cherche-t-on à éviter dans un accident nucléaire ?

 

Le gros danger qui peut mener à des accidents nucléaires, c’est de ne pas réussir à refroidir le combustible une fois que notre réacteur s’est arrêté.

Quand on arrête le réacteur avec nos barres de contrôle,  la chaleur dégagée par le réacteur chute énormément – normal on a stoppé la fission nucléaire. Mais, et c’est un grand mais, après l’arrêt de la réaction le combustible reste très chaud, et pendant un bon moment.

Si on ne refroidit pas assez le combustible de notre réacteur arrêté, il se produit l’accident grave : la fusion du cœur.

Une fusion du cœur se produit lorsque, faute de refroidissement, les crayons d’uranium chauffent tellement qu’ils se mettent à fondre. L’uranium fusionne alors avec la gaine qui entoure le combustible, et forme ce qu’on appelle un corium, un gros magma méga chaud de tous les éléments radioactifs contenus dans le cœur du réacteur.

Ca c’est la “fusion du coeur”, C’est ça, le gros accident qu’on fait tout pour éviter dans une centrale nucléaire. Pourquoi ?

Même si notre corium n’a rien à voir avec une bombe atomique, il peut faire de grands dégâts. Avoir un coeur en fusion créé deux risques terribles de faire sortir la radioactivité hors de l’enceinte et de contaminer les gens et l’environnement.

 

  • Le premier risque c’est de faire sauter l’enceinte de confinement en béton/métal qui entoure notre réacteur.
    Cela peut se produire de deux manières : la première c’est la montée en pression. Quand le cœur fusionne, le corium – notre magma ultra radioactif et hyper chaud – est en contact avec l’eau du circuit primaire qu’il y a tout autour du réacteur. Le corium peut monter à des températures très très élevées – de 1200° à environ 3000°. Sous l’effet de la chaleur, l’eau du circuit primaire se transforme en vapeur et, si on ne fait rien, la vapeur fait tellement monter la pression que l’enceinte béton/acier cède.
    Deuxième manière dont le magma du cœur fondu peut faire péter l’enceinte c’est les explosions d’hydrogène. Quand le cœur fond, il dégage de l’hydrogène, un gaz tellement inflammable qu’il peut provoquer des explosions et faire sauter notre enceinte béton/acier.

 

  • Le deuxième risque avec la fusion du cœur, il est moins connu, mais il est sérieux aussi : notre corium, le magma méga chaud, si on le laisse vivre sa vie, il peut traverser la cuve du réacteur puis le béton qui forme le plancher du bâtiment nucléaire. S’il traverse, il peut finir par s’écouler sous la centrale et risquer de contaminer l’eau et l’environnement autour de la centrale. A Tchernobyl, le corium a traversé mais n’a pas contaminé l’environnement. Dans les deux autres grands accidents graves avec fusions de cœur de l’histoire, Fukushima et Three Miles Island, le corium est heureusement resté dans la centrale voire dans la cuve.

 

Des fusions du cœur se sont déjà produites dans l’histoire. En France, on peut citer les fusions du coeur des réacteurs A1 et A2 de la centrale “graphite-gaz” de Saint-Laurent-des-Eaux. En 1969 et 1980 ces réacteurs (à technologie obsolète et en cours de démantèlement) sont entrés en fusion à cause d’erreurs humaines. Heureusement, aucun rejet de radioactivité important n’a été déploré. Les parades mises en place ont fonctionné.

 

Néanmoins, on comprend maintenant les deux enjeux importants de la sûreté d’un réacteur nucléaire :

  • Il faut absolument éviter de perdre le refroidissement du combustible, pour ne pas se retrouver avec une fusion du cœur. On doit tout faire pour refroidir, quoi qu’il arrive, le réacteur arrêté.
  • Et si on se retrouve malgré tout avec un cœur en fusion, alors on bascule en mode “damage control” :  il faut s’assurer que l’enceinte tienne et que la radioactivité ne se disperse pas, soit par au-dessus à cause de la pression ou des explosions d’hydrogène soit par dessous, avec un corium qui coulait sous la centrale.

 

Voilà les 2 missions IMPÉRATIVES de la sûreté nucléaire. Voyons maintenant ce qui est fait en France pour faire tendre tous ces risques le plus possible vers zéro.

 

 

La conception de la centrale : étape clef pour empêcher les accidents

 

Le premier principe de sûreté, on le retrouve dès la conception : il faut construire la centrale et en choisir ses composants en prenant, à chaque fois, le plus de marges possible, pour prévenir les accidents.

Ça commence avec le génie civil de la centrale, sa structure en béton, qui est conçue pour résister à des évènements extrêmes.

On regarde par exemple quel est le pire séisme qu’a connu la région de la centrale, on prend plein de marge par rapport à ce pire séisme, et on s’assure que la centrale peut y résister.

Pareil, tous les composants – la cuve, les circuits de refroidissement, les tuyaux, les vannes, les pompes, les alimentations électriques ce que vous voulez – tous ces composants doivent être conçus pour résister à beaucoup plus de contraintes que celles qui vont s’exercer sur eux. Le but de ces marges est d’éviter au maximum les défaillances techniques d’un équipement au moment où on en a le plus besoin. C’est la même logique qu’avec les composants d’un avion : prendre des marges pour éviter l’accident qui conduit au crash.

 

Redondance et diversification des systèmes de refroidissement

 

Un principe de sûreté absolument cardinal c’est la redondance et la diversification de chaque système. La diversification veut dire qu’on prévoit des systèmes différents pour assurer la même fonction et la redondance signifie que chaque système est doublé voire triplé pour pallier à d’éventuels échecs.

 

Prenons l’exemple des tuyauteries assurant le refroidissement du réacteur à l’arrêt. Les moyens de refroidissement sont au nombre de six.

  1. Le circuit secondaire de base qui évacue la chaleur via les générateurs vapeur
  2. Le circuit secondaire de secours (ASG) qui évacue la chaleur des générateurs de vapeur sans passer par le circuit secondaire originel
  3. Le RRA ou système de refroidissement du réacteur à l’arrêt qui, une fois la pression retombée, peut refroidir directement l’eau du circuit primaire sans passer par les générateurs de vapeur.
  4. Le RIS ou système d’injection de sécurité qui permet de refroidir le réacteur arrêté quelques heures et de pallier à n’importe quelle fuite du circuit primaire.
  5. L’EAS ou circuit d’aspersion de l’enceinte qui permet d’assurer de manière autonome le refroidissement à long-terme du réacteur grâce à ses échangeurs de chaleur et ses puisards.
  6. L’EAS ultime qui peut refroidir l’enceinte du réacteur à long terme en cas de défaillance de tous les systèmes mentionnés plus haut.

Voilà pour la diversification, regardons maintenant la redondance. De nombreux systèmes mentionnés au-dessus sont doublés : l’ASG est doublé, le RRA est doublé, le RIS est doublé et l’EAS est doublé. Si n’importe quel tuyau, pompe, vanne de chacun de ces circuits est en échec, une second voie complète et autonome peut prendre le relais.

La même redondance et diversification existe pour les systèmes d’alimentation électrique, aussi essentiels au refroidissement que les circuits d’eau. Voici les alimentations électriques disponibles pour un réacteur nucléaire.

  • Niveau 1 :  Le réacteur nucléaire est alimenté par l’électricité qu’il a lui-même produit grâce à la turbine et à son alternateur.
  • Niveaux 2-3 : Si le réacteur a un problème, on peut alimenter le réacteur grâce à deux transformateurs séparés connectés au réseau électrique national. Il se branche chacun par une voie électrique distincte : la voie A et la voie B.
  • Niveau 4-5 : Si c’est 2 transformateurs font défaut, on bascule vers les alimentations électriques de secours. Premier niveau de secours, chaque réacteur dispose de 2 générateurs diesels de secours : l’un utilise la voie électrique A et l’autre la voie électrique B. Ces deux diesels sont totalement indépendants l’un de l’autre et, pour plus de sécurité, situés dans des bâtiments séparés. Toujours diversification + redondance.
  • Niveau 6 : Si ces deux générateurs de secours font défaut, il est possible de connecté un générateur d’ultime secours au réacteur (GUS). Le temps de faire les branchement, un mini turbo alternateur de secours (LLS) permet au réacteur à l’arrêt de produire juste assez d’électricité pour ces fonctions de sûreté minimale.
  • Niveau 7 : Si toutes les options précédentes font défaut, chaque réacteur est équipé d’un Diesel d’ultime secours (DUS). Il s’agit d’un générateur protégé dans un bâtiment de 25 mètres de long et de 15 mètres de haut qu’on a construit, après Fukushima, pour résister à des séismes, des inondations et même des tornades. Ces DUS sont destinés à pouvoir assurer une production d’électricité suffisante pour la sûreté pendant 3 jours en autonomie complète. Les DUS prennent le relais des 2 diesels de secours en quelques secondes. Aujourd’hui, les DUS sont connectés à la voie électrique A et des travaux sont en cours dans chaque centrale pour les connecter à une voie électrique tierce, la voie C.

 

Voilà illustrés avec les exemples des alimentations électriques et des circuits de refroidissement deux principes cardinaux de la sûreté : diversifier et prévoir des redondances.

 

Imaginons que tous les niveaux décrits fassent défaut, un réacteur à l’arrêt peut toujours être refroidi par la FARN, la Force d’action rapide du nucléaire qui, en moins de 12 heures, peut intervenir sur n’importe quel réacteur de France et en assurer le refroidissement. La FARN peut intervenir sur 6 réacteurs accidentés en même temps.

[ SOURCE : EDF, “Présentation de la Force d’action rapide du nucléaire”, Séminaire ANCCLI-IRSN, 2013, p.19 ]

 

Ce principe de redondance et de diversification, vous le retrouvez aussi au niveau des ressources humaines. En cas d’accident nucléaire important, les équipes de techniciens sur place dans la centrale sont secondés et assistées par un équipe technique renfort qui intervient sur site. Trois équipes d’experts indépendantes sont connectées à la centrale pour suivre en temps réel les paramètres de l’accident et élaborer conjointement une stratégie pour en minorer les conséquences. Ces équipes d’experts sont chez EDF, chez Framatome (le concepteur de la centrale) et à l’IRSN.

 

 

Que faire en cas de fusion du cœur ?

 

Commençons par notre problème de corium tellement chaud qu’il risque de traverser le béton sous le réacteur et de contaminer l’environnement et les sources d’eau.

Pour prévenir ça, on est en train d’équiper toutes nos anciennes centrales de “récupérateurs ou de répartiteurs de corium”. Concrètement, on construit sous la cuve du réacteur un nouveau plancher en béton spécialement conçu pour s’assurer que le corium s’y répande et refroidisse AVANT d’avoir pu traverser et contaminer les eaux souterraines.

[ SOURCE : EDF, Anne Pelle, “Grand carénage et 4ème réexamen périodique”, Conférence à la SFEN Rhone-Ain-Loire, 16 février 2022,  p.29 ]

Avec ce répartiteur de corium, on sera paré contre une traversée de l’enceinte “par le bas”. EDF est aujourd’hui le seul exploitant au monde à rajouter ce dispositif sur ses anciens réacteurs. Et bien entendu, les nouvelles centrales EPR ont ce récupérateur du corium dès la conception.

 

Passons maintenant au premier grand risque d’explosion “par le haut” de l’enceinte : les dégagements d’hydrogène. Quand le cœur s’échauffe, des réactions chimiques se produisent entre les crayons et le combustible et dégagent de l’hydrogène. L’hydrogène est un gaz qui, s’il se concentre trop et se retrouve en présence d’oxygène, peut exploser. Cette “explosion d’hydrogène”, c’est ce qui est arrivé à 3 réacteurs de la centrale de Fukushima en 2011.

Pour empêcher l’hydrogène de trop se concentrer, depuis 2007, on a équipé tous nos réacteurs de “recombineurs d’hydrogène”. Ils fonctionnent de manière totalement “automatique”. Quand y’a trop d’hydrogène dans l’atmosphère, une réaction chimique s’enclenche et “recombine” cet hydrogène avec de l’oxygène pour en faire de l’eau.

[ SOURCE : IRSN, « État des recherches dans le domaine de la sûreté des réacteurs à eau sous pression”, 2017, pp.149 et sq ]

Ces recombineurs d’hydrogène, il faut en installer un peu partout dans l’enceinte du réacteur pour être sûr qu’aucune “poche” ou qu’aucune “bulle” d’hydrogène ne se forme dans un coin et finisse par exploser. Pour vous donner une idée, il y en a 118 dispatchés dans chaque enceinte des réacteurs 1300MW comme ceux de Cattenom en Moselle..

[ SOURCE : IRSN, “Accidents graves des réacteurs à eau de production d’électricité”, 2008, p.31 ]

A la centrale de Fukushima, il n’y avait aucun recombineur d’hydrogène. S’ils en avaient installé, comme le recommandait l’AIEA, – l’Agence internationale de l’Énergie Atomique -, les bâtiments réacteurs n’auraient peut-être pas explosé et on aurait probablement pas eu les fuites radioactives qu’on a connues.

[ SOURCE : La radioactivité.com, “Fukushima : Une agression de la nature, des erreurs humaines” ]

 

Après l’hydrogène, l’autre grand risque d’explosion, c’est l’augmentation de la pression à l’intérieur de l’enceinte réacteur. Quelle parade a-t-on mis en place contre ce risque ?

La première double parade, vous la connaissez déjà, c’est les systèmes d’arrosage EAS et EAS ultime. L’EAS asperge l’intérieur de l’enceinte d’eau fraîche, ce qui liquéfie la vapeur. L’eau s’écoule alors tranquillement jusque dans les puisards où elle peut être repompée. Et si la vapeur ne s’accumule plus; on évite une augmentation trop importante de la pression qui pourrait mener à une rupture.  L’EASu évacue la chaleur hors de l’enceinte si les échangeurs de chaleur l’EAS sont mis en défaut.

[ SOURCE : “Évacuation de l’énergie dégagée dans l’enceinte de confinement” in IRSN, Les accidents de fusion du coeur des réacteurs nucléaires de puissance : Etat des connaissances, 2013, pp 40-41. OU IRSN, Avis de l’IRSN n°2019-00051, “Maîtrise des accidents graves après le déploiement des modifications post-Fukushima”, 2019, p.4

 

La seconde parade vise à empêcher une montée en pression dite “par échauffement direct de l’enceinte”. Cette situation se produit lorsque la fusion du coeur se produit alors que le circuit primaire est encore à haute pression (15 à 20 bars). Dans ce cas, non évoqué dans la vidéo, la cuve du réacteur peut se briser et du combustible peut entrer en contact avec de l’eau et se trouver dispersé dans l’ensemble de l’enceinte. Cette pulvérisation du combustible occasionne une montée en pression soudaine qui peut faire céder l’enceinte et ainsi disperser la radioactivité. La parade pour éviter cet “échauffement direct de l’enceinte” est assez simple : il faut ouvrir le circuit primaire pour faire baisser la pression avant la fusion du coeur.

SOURCE : IRSN, Accidents graves des réacteurs à eau de production d’électricité, 2008, p.36

Ça fait déjà 2 parades pour éviter cette montée en pression, mais imaginons que ces systèmes soient hors service où ne suffisent pas.

 

Bah là, je vous le cache pas, c’est probablement mal engagé. On dispose, selon l’IRSN, “d’environ 24 heures” avant que le corium ne fasse tellement monter la pression dans l’enceinte qu’elle craque et relâche toute sa radioactivité, façon Fukushima.

Là, on va mettre en place une parade “damage control” pour faire baisser la pression et, surtout limiter les rejets de radioactivité. Cette parade, c’est un peu le principe de la cocotte minute : pour faire baisser la pression, on ouvre la soupape de la cocotte, on évente le réacteur. En gros, on décide de libérer VOLONTAIREMENT du gaz radioactif pour éviter que l’enceinte pète.

La soupape de notre cocotte minute est munie d’un filtre à sable qui permet de diviser par 10 la radioactivité des gaz qui en sortent.

[ SOURCE : IRSN, “Accidents grave des réacteurs à eau de production d’électricité,”Mise en surpression lente dans l’enceinte”, 2008,  p.32 ]

[ SOURCE : IRSN, Les accidents graves : La gestion d’un accident grave sur un réacteur à eau sous pression en France, “Procédure d’éventage U5” ]

Au lieu d’avoir un bâtiment qui pète et libère TOUTE sa radioactivité, on en libère, à un moment qu’on choisit et qu’on peut anticiper, “juste ce qu’il faut” pour faire baisser la pression et, en plus, on limite la radioactivité présente dans ces rejets grâce au filtre. Cette procédure d’éventage et de filtration, c’est LA dernière parade pour limiter la casse en cas d’accident grave.

 

Heureusement, on a un petit délai. Comme je vous l’ai dit, en règle générale, on a 24 heures pour s’organiser, évacuer les populations, distribuer des pastilles d’iode et tutti quanti. Le but de la manœuvre, vous l’avez compris je pense : éviter que nos rejets filtrés ne contaminent les populations autour de la centrale.

[ SOURCE : IRSN, Les accidents de fusion du coeur des réacteurs nucléaires de puissance : Etat des connaissances, 2013, Figure 4.5 p.88 ]