Tchernobyl, Fukushima : quel bilan ? (3/3) - Osons Comprendre

Tchernobyl, Fukushima : quel bilan ? (3/3)

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Tchernobyl, Fukushima : combien la radioactivité libérée par ces catastrophes a-t-elle fait de morts ? Pourquoi peut-on lire des chiffres aussi variables ? Quelles sont les autres conséquences de ces accidents ? On fait le point.

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Points clés

  • Pour Tchernobyl, les estimations du nombre de mort varient selon le modèle scientifique “d’effet sanitaire des petites doses de radiation” appliqué. Les estimations maximales utilisent un modèle LNT qui prévoit des morts par cancers chez les centaines de millions d’Européens exposés aux très faibles doses (autour de 1mSv) du fameux “nuage de Tchernobyl”. Ces estimations maximales comptent jusqu’à 20 000 morts causées par le surcroît de radiation d’ici à 2065. L’estimation minimale ne compte que les morts avérées et se chiffre en centaines. L’estimation intermédiaire suppose quant à elle que les expositions en dizaines de Msv causeront bien des morts par surcancer mais s’écarte du modèle LNT en jugeant sans danger les expositions à de très faibles doses (< 7 mSv). Cette estimation intermédiaire donne 4000 morts au total d’ici à 2065. C’est l’estimation retenue par les grands organismes internationaux.

 

  • Pour Fukushima, le bilan maximal donne la fourchette “entre 200 et 500 morts sur plusieurs décennies”. Le bilan minimal retient le chiffre de “zéro mort par les radiations”.

 

  • Le bilan humain des radiations à Tchernobyl comme à Fukushima varie beaucoup, vous l’avez compris, selon le modèle de dangerosité des faibles doses utilisé. Le bilan humain de ces catastrophes, lorsqu’on l’évalue scientifiquement avec rigueur,  est néanmoins bien éloigné, même dans ces estimations maximales, de l’image collective qu’on peut avoir de ces catastrophes. Aucune estimation sérieuses n’avance des chiffres de “plusieurs centaines de milliers de morts de Tchernobyl” qui sont parfois repris par des militants anti-nucléaire.

 

  • Attention, nuancer le bilan humain de ces catastrophes ne signifie absolument pas en minimiser la gravité. Ces deux accidents figurent parmi les pires catastrophes industrielles de l’humanité. Leur impact économique sur les régions évacuées et – pour Tchernobyl –  condamnées, a été très important. Les estimations se chiffrent en dizaines de milliards de dollars et un tel accident sur une centrale française pourrait avoir des conséquences inestimables.

 

  • Cela dit, la peur des radiations a aussi eu des conséquences très graves. Les victimes irradiées se sont crus condamnées, et ont adopté des conduites à risque. Elles ont été discriminés, mis à l’écart. C’est triste à dire, mais la peur des radiations a peut-être causé en réalité plus de dommages  que les radiations elles-mêmes ! L’évacuation forcée à Fukushima a fait plus de 600 morts et dans le meilleur du meilleur des cas elle n’aurait sauvé que 250 vies.

 

  • Calibrer notre peur de la radioactivité au “bon niveau” est indispensable pour mieux réagir en cas de catastrophes. Trancher la controverse scientifique sur l’effet des petites doses de radioactivité sera un énorme atout pour adapter notre réponse collective à la radioactivité. Une fois la controverse tranchée, on saura beaucoup mieux à partir de quelles doses une zone doit être évacuée, devient inhabitable ou, au contraire, à partir de quand il est possible pour l’homme de revenir.

Sources et références

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Les morts de Tchernobyl

 

Parmi les victimes de la tragédie de Tchernobyl, il y a évidemment les morts immédiats. Ces morts “rapides” ont eu lieu parmi les 137 personnes (des employés de la centrale, des pompiers, des liquidateurs et des témoins) qui ont fait un syndrome d’irradiation aiguë (voir vidéo 2). Parmi ces 134 personnes, 28 – soit 20 % –  sont mortes dans les 4 mois des suites des radiations. Presque tous les morts avaient reçu plus de 4 sievert, ainsi que vous le voyez sur ce tableau, tiré du rapport de 2008 sur Tchernobyl de l’UNSCEAR – l’organisme des Nations Unies chargé de contrôler la radioactivité (p.14).

19 de ces liquidateurs sont morts “plus tard”, entre 1986 et 2006. Toutes ces morts ne sont pas attribuables aux radiations, mais au moins certaines le sont.

 

La question des “morts de Tchernobyl’ ne concerne évidemment pas que ces 28 morts “rapides”. Elle concerne aussi les morts par cancer induites par des expositions à des doses moins fortes de radioactivité.

Ces expositions plus faibles concernent les autres liquidateurs – exposés en moyenne à 120 mSv, les populations évacuées – exposées en moyenne à 31 mSv et les populations touchées par le “nuage de Tchernobyl” qui ont été exposées, selon les zones, à des doses entre 0.5 et 7 mSv en moyenne.

Si on compile le total de ces populations exposées, on peut facilement arriver à des centaines de millions de personnes touchées. Le nuage a vraiment survolé toute l’Europe et une bonne partie de l’Asie mineure.

Combien de personnes sont mortes ou vont mourir de ces faibles doses de radioactivité ?

L’étude de référence sur les morts de Tchernobyl  utilise le modèle conservateur “LNT” pour évaluer le nombre de morts que causeront les faibles doses de radioactivité auxquelles ont été exposés les Européens. Le modèle LNT dont on va parler est donc un modèle qui MAXIMISE les conséquences sanitaires de l’exposition aux radiations.

En voici les résultats : pour ces 570 millions d”Européens exposés, Tchernobyl causera 16 000 morts d’ici à 2065.

L’étude ne considère que les pays européens. Or de nombreux pays non européens ont aussi été touchés par le nuage, comme la Turquie et quelques ex pays soviétiques autour de la Caspienne. Il convient donc, par prudence, de majorer ce chiffre pour obtenir une estimation raisonnable maximale du nombre de morts causées par les radiations de Tchernobyl. Nous proposons de retenir l’estimation prudente et maximale de 20.000 morts jusqu’à 2065 à cause des radiations rejetées par l’accident.

 

Ces 20 000 morts de Tchernobyl sur 80 ans; c’est un chiffre important. Nous avons choisi de le mettre en perspective avec d’autres catastrophes industrielles ou climatiques.

La rupture, en 1975 du barrage de Banqiao en Chine aura, au total, tué plus de 150 000 personnes dans l’inondation de toutes la vallée en aval. Il s’agit de la catastrophe industrielle la plus meurtrière de l’histoire.
On peut aussi comparer les 20 000 morts de Tchernobyl aux 23 000 décès prématurés que causent chaque année les centrales à charbon, juste en Europe. Dans le monde, l’électricité au charbon c’est des centaines de milliers de morts chaque année, tout ça sans accident, juste en polluant l’air.
Encore plus proche de nous, on peut penser aux 70 000 Européens dont 20 000 Françaises et Français qui sont morts lors de la canicule de 2003.  (Source : étude européenne CANICULE coordonnée par l’INSERM, 2007)

 

Regardons maintenant l’estimation la plus “optimiste” des morts de Tchernobyl. Il s’agit d’une estimation qui suppose les faibles doses de radiation sans danger pour les humains, contrairement au modèle LNT. Si l’effet des doses sous 100 mSv sur la santé est nul, alors l’accident de Tchernobyl n’aurait causé qu’un peu plus de 100 morts.

Un peu plus de 100 morts ça se décompose en quelques dizaines parmi les liquidateurs les plus exposés, et quelques dizaines de morts de cancers de la Thyroïde. Ce cancer est très peu mortel mais sur les 6000 cas  recensés par l’UNSCEAR en 2008 dans l’ancienne Union Soviétique, y’a quand même eu 15 morts. Il convient donc d’ajouter ces morts pour arriver au total d’un peu plus de cent morts pour l’estimation optimiste.

 

L’estimation intermédiaire suppose quant à elle que les expositions en dizaines de mSv causeront bien des morts par surcancer mais s’écarte du modèle LNT en jugeant sans danger les expositions à de très faibles doses (< 7 mSv). Cette estimation intermédiaire donne 4000 morts au total d’ici à 2065. C’est l’estimation retenue par les institutions de l’ONU dans leur rapport définitif de 2006.

 

Si vous voulez en savoir plus sur les incertitudes au sujet de ces estimations, nous vous invitons à lire cet article de Nature.

 

Profitons-en pour examiner, à partir du cas français, la question des cancers de la thyroïdes qui se sont multipliés chez les enfants qui, à l’époque, ont consommé du lait contaminé.

L’IRSN avance que les enfants les plus exposés  ont pu recevoir en cumulé autour de 10 mSv, ce qui reste une dose très faible (p.28). Cette exposition a-t-elle entraîné plus de cancers de la thyroïde ?

Oui, le nombre de cancer de la thyroïde a augmenté en France. Seulement, d’après les scientifiques, cette augmentation a très peu de rapports avec Tchernobyl.  Elle serait principalement due aux gros progrès dans le dépistage des cancers de la thyroïde dans les années 80-90. Mieux on dépiste, plus on trouve de cancers. Voici une compilation des enseignements (p.6-8 du pdf) d’un rapport de 2010 de l’Institut de veille sanitaire qui dresse le bilan, depuis 1985, de l’incidence du cancer de la thyroïde en France.

L’Institut de veille sanitaire a cherché à réduire la fenêtre d’incertitude quant au nombre de surcancers de la thyroïdes causés par l’accident de Tchernobyl. Elle estime le nombre de cas à entre 7 et 55 cancers de la thyroïde entre 1991 et 2015. Et heureusement, ce cancer est très peu mortel. Le nuage de Tchernobyl a donc probablement fait zéro morts en France. Il devrait être responsable, dans le pire des cas, de quelques dizaines de cancers de la thyroïde.

 

Voilà pour le bilan de Tchernobyl en France. Mais revenons au bilan global.

Le bilan est dans une fourchette assez large, qui va d’une grosse centaine de mort jusqu’à 20K morts sur 80 ans. C’est la fourchette raisonnable, compatible avec nos connaissances actuelles sur la radioactivité.

Mais vous trouverez aussi des estimations qui donnent des centaines de milliers de morts pour l’accident de Tchernobyl. Elles sont toutes plus ou moins dérivées d’un papier ukrainien publié sans suivre aucun standard scientifique et ces chiffres là, faut le dire , ils sont carrément bidons.

Pour vous donner un exemple de leur grande “rigueur” ces papiers considèrent que toute la mortalité supplémentaire (par cancer ou non) de la région est due à Tchernobyl ! Complètement absurde quand on sait que quelques années après l’accident, ces pays ont connu la chute de l’Union Soviétique, qui a tellement bousillé leurs systèmes sociaux que l’espérance de vie s’est écroulé de 5 ans entre 1990 et 1994 [Source : Notzon and al. 1998].

Selon le papier ukrainien, toute la surmortalité, c’est Tchernobyl. Bref, tout ça n’est pas rigoureux.

 

 

Les morts de Fukushima

 

A Fukushima, personne n’a souffert de syndrome d’irradiation aiguë, et presque personne n’a été exposé à des doses dites “moyennes” de radioactivité. Seulement 167 travailleurs sur le site ont été exposées à plus de 100 mSv, le seuil minimum à partir duquel on a documenté des effets sur la santé. Environ 7000 travailleurs ont été exposés à des doses faibles, entre 10 et 100 mSv, et le reste de la population a été exposée à des doses très faibles, bien en dessous de 10 mSv. Parmi les évacués, les doses sont très faibles. Les habitants de la préfecture de Fukushima, ont reçu des doses inférieures à 2mSv, une dose très très faible, pour plus de 95% d’entre eux. [Voir vidéo 2 pour les détail].

Si on ne regarde que les morts causées par des radiations moyennes ou fortes, les modèles nous donnent quelques cancers dans les prochaines décennies, et probablement zéro mort

Mais quand on applique le modèle LNT aux très faibles doses reçues par beaucoup de gens, on trouve que ces faibles doses de radioactivité pourraient causer entre 220 et 520 morts principalement par cancer, étalées sur des dizaines d’années.

Il s’agit d’une estimation “large”. Si les faibles doses ne sont pas dangereuses, alors le bilan de Fukushima pourrait même être de zéro mort de la radioactivité.

Evidemment, c’est un gros enjeu politique. En 2018, la mort par cancer d’un ex employé de la centrale a été reconnue comme “liées aux radiations” reçues pendant l’accident.Vu le temps de latence de 10 ans minimum qu’on voit en général entre l’irradiation et la survenue de cancers, c’est très improbable que son cancer du poumon vienne des radiations de Fukushima, mais cette décision de justice est à lire plus comme une mesure politique, destinée à apaiser les populations impactées.

Autre source de morts, les évacuations. Les autorités japonaises ont choisi d’évacuer – parfois même contre leur gré – de nombreux habitants vivants à proximité de la centrale. Ces évacuations, elles ont fait des morts.

Près de 600 personnes plutôt des vieux  sont mortes de stress, de fatigue extrême et de complications de conditions médicales du fait de l’évacuation. Ce chiffre devrait nous interroger. Évacuer pour diminuer l’exposition à la radioactivité des riverains a tué 600 personnes.

 

Des chercheurs ont évalué combien de personnes ont été “sauvée” par ces évacuations : leur estimation maximale de chez maximale c’est 245.

La décision d’évacuer de force les abords de Fukushima aurait donc, si on en croit les papiers scientifiques, coûté plus de vies qu’elle n’en a sauvées.

 

Voilà le bilan des morts des grandes catastrophes nucléaires. Cela dit, il est impossible de réduire les effets de ces catastrophes à leurs seuls bilans sur la santé.

Évacuer des zones entières pour des années ou des dizaines d’années a un coût économique astronomique. Pour Fukushima, le coût de l’accident et de l’évacuation et de la zone interdite est estimé à 170 milliards d’euros.

 

La peur des radiations tue

 

La peur des radiations tue. On a vu ça avec l’évacuation à Fukushima – qui d’après les scientifiques a tué plus de personnes que les radiations.

Mais la peur des radiations a aussi causé des dégâts à Tchernobyl ou Hiroshima. Pour ces catastrophes, les personnes qui ont souffert de cette peur de la radiation, ce sont les survivants.

A Hiroshima et Nagasaki, les survivants des bombes se font appeler les Hibakusha. Les Hibakusha – et même leurs descendants – se sont fait discriminer abondamment par la société japonaise. Dans les années 70”s, le taux de chômage des Hibakusha était de 70 % supérieur à celui des autres Japonais [Source : Nagasaki, Life after Nuclear War p245]

A Tchernobyl, la peur des radiations a eu un impact terrible sur les populations irradiés. Rappelons que l’extraordinaire majorité des personnes irradiées à Tchernobyl a été peu irradié, quelques dizaines de millisievert au plus.

Le rapport définitif sur Tchernobyl de l’ONU – de l’IEA de l’OMS etc. – de 2006 est explicite sur ce point : si le nombre de cancer et de morts causé par les faibles exposition est difficile à évaluer –  et possiblement très faible – une chose est certaine : les survivants souffrent de multiples conséquences psychologiques dommageables. [voir pages 5 et 19]

Le rapport note même de manière claire et sans équivoque : “Aujourd’hui – en 2006 – Les impacts sur la santé mentale sont les principaux problèmes de santé publique générés par l’accident de Tchernobyl”.(p34)

Le rapport pointe notamment que, selon les examens des psychologues, les personnes exposés à des doses faibles – qui risquent donc objectivement peu de choses pour leur santé- se percevaient elles-mêmes comme invalides, vivant une vie de “condamnés” sans espoir ni perspective.  Evidemment, le rapport note qu’une telle perception de sa propre vie a pour effet de multiplier les conduites à risque et la consommation d’alcool parmi les survivants.

Le rapport note aussi que la politique d’indemnisation publique des victimes a pu contribuer à enfermer les survivants dans une vie sous assistance et sans perspective.

 

Plus largement, la peur de la radioactivité est instrumentalisée chez nous par des journalistes et des associations avides de clics. On les a évoquées dans l’intro, on ne compte plus les titres “du tritium dans l’eau de 6.4 millions personnes” [ ou ou ]ou “sur des fuites radioactives ici ou ou là 

C’est évidemment bienvenu de tout faire pour que l’entretien des centrales nucléaire soit le plus exemplaire possible. Mais ça pourrait être bien de préciser au public que les doses de ces rejets – du moins de ceux dont on a eu connaissance av Steph – sont absolument inoffensives.