L’erreur de la crise de 2008 à ne surtout pas refaire - Osons Comprendre

L’erreur de la crise de 2008 à ne surtout pas refaire

Après la crise de 2008, l'Europe a choisit l'austérité. Aujourd’hui, les économistes reconnaissent que c'était une erreur gravissime et qu'ils s'étaient trompé. Pourquoi il ne faut pas reproduire cette erreur après le Covid.

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Points clés

  • La crise de 2008, dite “crise des subprimes”, a rapidement touché l’Europe. Après quelques mois de forte augmentation des dépenses publiques (“plans de sauvetage” des banques ou dépenses sociales), les pays européens ont pris un virage à 180°. Dès 2010, malgré un chômage élevé et un PIB en berne, l’austérité a remplacé le quoi qu’il en coûte.

 

  • L’austérité est une politique de réduction des déficits publics. Concrètement, il s’agit d’une réduction des dépenses de l’Etat couplée d’une augmentation des impôts, c’est-à-dire une hausse des recettes publiques.

 

  • La baisse des dépenses a principalement touché la santé et les retraites, les deux plus gros postes de dépenses publiques. Elle s’est aussi traduite par une chute des investissements publics, qui sont même devenus négatifs. Un investissement net négatif signifie que les infrastructures se dégradent plus vite qu’on ne les remplace. Les hausses d’impôts ont surtout touché l’impôt que paye le plus grand nombre, la TVA qui, malheureusement, se trouve aussi être l’impôt qui pèse le plus sur les budgets des plus pauvres. On comprend donc que l’austérité a fait très mal aux populations européennes et a aggravé les inégalités – et ce, tout particulièrement dans l’Europe du Sud qui a eu droit à une double dose. Pourquoi a-t-on décidé d’appliquer un remède si extrême ?

 

  • La droite européenne – principalement des pays du nord – ainsi que les socio-démocrates, déjà conquis idéologiquement par les idées de “rigueur budgétaire” et de “modération”, ont imposé l’austérité en s’appuyant sur deux arguments économiques. Le premier, c’est la théorie de “l’austérité expansive”. Cette théorie, développée surtout par l’économiste de Harvard Alberto Alesina, stipule que baisser les déficits – même en période de sous-emploi – augmente le PIB. En voyant l’Etat modérer ses dépenses, les agents économiques anticipent des baisses d’impôts futures et décident par conséquent d’augmenter leurs dépenses et leurs investissements pour tirer profit de cette croissance future. Cette théorie de l’austérité expansive, aussi contre-intuitive soit-elle, était acceptée par la majorité des économistes de l’époque et a été invoquée par de nombreuses institutions européennes – la BCE et le Conseil européen en tête. Le second argument en faveur de l’austérité était l’idée qu’un niveau de dette trop élevé, supérieur à 90 % du PIB, handicape la croissance économique. Cette théorie, très influente à l’époque, s’appuyait sur un article de deux économistes majeurs, article qui s’est révélé par la suite totalement faux, en raison d’une grossière erreur de calcul.

 

  • Malheureusement, la cure d’austérité imposée aux pays européens de 2010 à 2015 s’est révélée désastreuse. Après 6 années de purge, l’Europe n’avait toujours pas retrouvé son PIB et son niveau de chômage d’avant la crise. Avec le recul, de nombreux économistes ont cherché à mesurer ce que l’austérité a coûté en croissance économique. Une étude récente montre que, pour les pays qui ont subi le plus ces politiques austéritaires – les pays du Sud : Grèce, Portugal, Espagne Italie et pour l’Irlande – ces 5 années d’austérité ont amputé le PIB de 18% par rapport à ce qu’il aurait été sans austérité. Pour ces pays, l’austérité a été plus dommageable que deux années 2020 de Covid pour la France. Dans les autres pays d’Europe qui ont mené des politiques d’austérité un peu moins brutales – l’Allemagne, la France, les pays nordiques, etc. – l’austérité a quand même coûté 8% de PIB soit l’équivalent de la baisse de PIB française de 2020. Le pire, c’est que cette saignée austéritaire n’a même pas rempli son premier objectif, dans les pays les plus austéritaires – les pays du Sud et l’Irlande – l’austérité a aggravé l’endettement public de 20 points de PIB.

 

  • Face à un tel échec, la majorité des économistes a dû reconnaître son erreur. Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI pendant la crise, qui a commencé sa carrière en défendant l’austérité expansive dans les années 90, a admis, dans un article de 2013 abondamment cité, que le FMI et lui-même s’étaient trompés. Comme toutes les grandes institutions à l’époque, ils avaient mal mesuré l’impact des mesures d’austérité en temps de crise. Larry Summers, autre star de l’économie dominante, a lui aussi publié une étude montrant l’échec de l’austérité. Bien d’autres études ont été publiées, qui montrent presque toutes que l’austérité a été un désastre.

 

  • La position dominante s’est inversée : aujourd’hui, la majorité des économistes reconnaissent que l’austérité ne fonctionne absolument pas après une crise. Il est donc dangereux de resserrer trop tôt les budgets publics. Aujourd’hui, Blanchard, le FMI et la plupart des économistes dominants sont convaincus que la bonne sortie de crise passe par l’effet multiplicateur de la dépense publique. A nos dirigeants de tirer les enseignements et de ne pas reproduire, au sortir de la crise Covid, la terrible erreur austéritaire de 2010.

Sources et références

Après la crise de 2008 : l’Europe choisit l’austérité

 

La crise de 2008, dite “crise des subprimes”, vous le savez sûrement, c’est une crise financière née aux Etats-Unis qui s’est propagée ensuite au reste du monde, et tout particulièrement en Europe. Les centaines de milliards pour sauver les banques ainsi que les mesures sociales rendues nécessaires par la crise et le chômage ont énormément creusé les déficits et la dette des Etats.

Ça se voit bien à l’échelle de la zone euro où les déficits ont dépassé les 6% de PIB. Cette phase de “quoi qu’il en coûte” version 2008-2009, où les Etats soutiennent l’économie pour éviter l’effondrement, elle n’a pas duré longtemps. Dès 2010 la zone euro a basculé dans une autre phase : celle de l’austérité, qui s’accompagne d’une réduction progressive et continue des déficits publics.

 

Cette austérité ne vient pas de nulle part. Elle a été portée par l’Allemagne de Merkel et par toute la droite européenne, avec une grande complaisance des sociaux-démocrates.

Pour en savoir plus sur les débats politiques de l’époque, nous vous recommandons le livre de l’historien Adam Tooze Crashed, comment une décennie de crise financière a changé le monde.

 

L’austérité en Europe, concrètement, c’était quoi ?

L’austérité est une politique de réduction des déficits publics. Concrètement, il s’agit d’une réduction des dépenses de l’Etat couplée d’une augmentation des impôts, c’est-à-dire une hausse des recettes publiques.

Couper les dépenses, on voit assez bien ce que c’est. Les premières dépenses publiques visées, c’est les plus importantes.

Les deux plus gros postes de dépenses publiques en France et en Europe, on l’a vu dans notre vidéo “A quoi servent les impôts », c’est – de loin – les retraites et la santé. En France, elles représentent presque la moitié des dépenses publiques (45,6%).

On comprend que les années 2010 aient été marquées par des réformes pour diminuer les dépenses de retraites et de santé en Europe.

Les dépenses publiques de santé étaient en augmentation avant la crise parce que la population européenne vieillit et a besoin de plus de soins, mais l’austérité a mis un énorme STOP à ces dépenses.

La dépense publique de santé s’effondrer en Grèce ce qui a eu des conséquences dramatiques. La mortalité infantile est repartie à la hausse, l’état de santé des gens s’est dégradé. On vous en parlait d’ailleurs dans une des toutes premières vidéos de la chaîne en 2015

Les dépenses de santé ont aussi sérieusement chuté dans les autres pays du Sud, comme l’Espagne, ou l’Italie, mais vous avez eu la même chute un peu partout en Europe. Seule la France se démarque, on n’y distingue mal la différence “avant” et “après” crise. C’est normal, notre pays avait déjà comprimé les dépenses de santé dans les années 2000 !

 

Pour les retraites, rien qu’en France on a eu deux réformes en quelques années : une en 2010 sous Sarkozy, et une en 2013, au début du quinquennat Hollande.

En 2011, l’Espagne, le Portugal et l’Italie ont tous les trois fait des grosses réformes pour diminuer les dépenses de retraite. En Italie, la ministre Elsa Fornero a carrément éclaté en sanglots pendant la conférence de presse où elle annonçait ces sacrifices. En Grèce, c’était open bar : les retraites ont été baissées à de nombreuses reprises.

Source : Serapioni et. al., “Crisis and Austerity in Southern Europe: Impact on Economies and Societies”, 2019

 

Et attention, l’austérité en Europe n’a pas réduit que les dépenses sociales. La baisse des dépenses a aussi concerné les investissements publics. A partir de 2013, l’investissement net dans les infrastructures est carrément devenu négatif. L’investissement dans nos ponts, nos routes, nos gares, etc ne compensait même plus leur vieillissement. En clair : on a laissé nos infrastructures se dégrader. Et ce partout dans la zone Euro.

Voici l’austérité la plus évidente, celle qu’on a en tête : la baisse des dépenses publiques.

Il ne faut pas oublier l’autre visage de l’austérité : la hausse des impôts.

Dans la plupart des pays européens, on a pas demandé d’effort fiscal particulier aux plus riches après la crise. On s’est concentré sur les impôts que tout le monde paye. Et l’impôt roi pour augmenter les recettes, c’est la TVA !

La France a connu deux hausses de TVA en 2012 et 2014. Et déjà en 2010, la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal ont subi des hausses de TVA.

On comprend donc que l’austérité a fait très mal aux populations européennes et a aggravé les inégalités – et ce, tout particulièrement dans l’Europe du Sud qui a eu droit à une double dose.

Mais pourquoi a-t-on décidé d’appliquer un remède si extrême ?

 

“L’austérité, c’est génial” – les économistes en 2010

 

La question se pose parce que le choix de l’austérité n’avait rien d’évident.

En 2010, les économies européennes étaient encore en pleine crise. Le chômage par exemple était au-dessus des 10%, soit un gros tiers de plus (34.6%) qu’avant la crise. Idem, les pays de la zone euro étaient loin d’avoir retrouvé leur PIB de 2007.

Dans ce contexte de marasme, de “sous emploi” comme disent les économistes, le bon sens ne dit pas : “ok c’est LE moment pour baisser énormément les dépenses publiques et augmenter les impôts”.

Les économistes dominants de l’époque n’étaient pas de cet avis et avançaient deux arguments-massues pour défendre le choix de l’austérité.

 

Le premier argument, c’est la théorie de “l’austérité expansive”.

 

Cette théorie repose sur quelques articles d’économistes écrits dans les années 90-2000 par l’équipe du chercheur d’Harvard Alberto Alesina.

Ces études montraient que baisser les dépenses et augmenter les taxes permettait non seulement d’équilibrer les budgets et de maîtriser la dette mais aussi d’augmenter la croissance. Faire de l’austérité d’après Alesina, c’est gagner deux fois : l’Etat se désendette et le PIB monte.

Comment c’est possible ? Bah parce que, dans leurs modèles théoriques, ces économistes postulent que les agents économiques – en fr ça veut dire les entreprises, les gens, les banques – en voyant l’État équilibrer son budget grâce à l’austérité, ils vont se dire “SUPER si l’Etat gère bien son argent aujourd’hui, bah il va baisser mes impôts plus tard, donc nickel : je dois investir et dépenser aujourd’hui pour tirer les profits de cette croissance future”.

Dans le monde merveilleux des économistes néo-classiques, ce raisonnement étrange s’appelle les “équivalences ricardiennes”, du nom de l’économiste classique David Ricardo. Voici un schéma montrant comment l’économie mainstream les imagine fonctionner.

Cette théorie de l’austérité expansive, bonne pour l’économie, était dominante en économie en 2010, et on la trouvait citée dans toutes les recommandations des institutions européennes.

Le gouverneur de la BCE de l’époque, le Français Jean-Claude Trichet, ne s’en cachait pas dans Libération paru le 13 juillet 2010.

Alesina lui-même a été invité à plaider pour une austérité “importante, crédible et résolue” au Conseil des ministres des finances européens de Madrid en avril 2010. (p.3)

 

Deuxième argument économique : le coût de la dette pour la croissance.

 

En 2010, deux chercheurs stars, – l’ancien chef économiste du FMI Kenneth Rogoff et la future chef économiste de la Banque Mondiale Carmen Reinhart – sortent un article qui fait grand bruit, et qui se retrouve cité des milliers de fois.

D’après leur étude, des niveaux de dette élevés, supérieurs à 90% du PIB, ça réduirait la croissance. Et 90%, c’est exactement le genre de niveau auquel étaient arrivés les Etats européens à cause de la crise de 2008.

Conclusion: réduire la dette était prioritaire pour l’économie. Même à court terme, c’était dangereux de s’endetter plus.

 

Petit problème, cet article était en fait complètement bidon et basé sur une erreur de calcul toute simple que personne n’avait identifiée 🙂 Oups 🙂

David Louapre, de l’excellente chaîne de vulgarisation Science Etonnante, a fait de cette histoire une super vidéo, où il raconte comment un simple étudiant en économie a découvert que l’étude était moisie en faisant un devoir dessus. Ça vaut le détour ! 🙂

 

Austérité européenne : un bilan catastrophique

 

Avec le recul, de nombreux économistes ont pu mesurer empiriquement l’impact des politiques d’austérité sur le PIB.

Voici les résultats d’une des études les plus récentes, publiée fin 2020.

Dans cette étude, les auteurs mesurent avec un modèle très standard en économie ce que les politiques d’austérité menées entre 2010 et 2014 ont fait gagner ou perdre en PIB aux pays européens.

 

Pour les pays qui ont subi le plus ces politiques austéritaires – les pays du Sud : Grèce, Portugal, Espagne Italie et pour l’Irlande – ces 5 années d’austérité mesurées ont pas été super « expansives ». En réalité, elles ont amputé le PIB de 18% par rapport à ce qu’il aurait été sans austérité.

Si ces pays n’avaient pas fait d’austérité, s’ils n’avaient pas drastiquement diminué les dépenses publiques et monté les impôts, ils auraient eu 18% de PIB en plus en 2014 !

Pour se représenter le massacre que ça représente : l’année 2020 de crise Covid en France avec les deux confinements, c’est -8,3% de PIB.

Ça veut dire que pour la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, les 5 ans de politique d’austérité entre 2010 et 2014 ont davantage ravagé leurs économies que deux années de crise Covid et de pandémie mondiale !

Dans les autres pays d’Europe qui ont mené des politiques d’austérité un peu moins brutales – l’Allemagne, la France, les pays nordiques, etc. – l’austérité a quand même coûté 8% de PIB.

Vous l’avez compris, partout en Europe, l’austérité a échoué à booster l’économie. Elle n’a pas du tout été “expansive”. Au contraire, elle a été une catastrophe sans nom pour l’économie

Est-ce que cette saignée de l’économie a au moins servi à désendetter les pays européens ?

Les mêmes économistes ont mesuré l’impact de l’austérité sur l’endettement des pays et ont pu constater le même fiasco.

Dans les pays les plus austéritaires – les pays du Sud et l’Irlande – l’austérité a aggravé leur endettement de 20 point de PIB !

Sans l’austérité qui a ravagé leurs économies, ces pays auraient été beaucoup moins endettés. Ils auraient eu un peu plus de dette en valeur absolue, mais ils auraient aussi eu beaucoup plus de PIB et donc l’endettement, le ratio dette/PIB, aurait été plus faible.

Ce résultat vaut également – mais de manière moins spectaculaire –  pour les pays qui ont connu une austérité moins brutale.

 

L’austérité en période de crise : on SAIT maintenant que c’était une erreur

 

En 2010, seuls des partis politiques comme le PG de Mélenchon en France et une minorité d’économistes avaient prévu que l’austérité serait une catastrophe. Malgré la présence d’économistes de renom parmi eux, comme Paul Krugman ou le prix Nobel Joseph Stiglitz, leurs voix ne parvenaient pas à se faire entendre.

Depuis 2010, on a pu observer et mesurer le résultat concret de ces politiques. Et là, la majorité des économistes a bien été obligée de reconnaître leur erreur.

Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI pendant la crise, a commencé sa carrière en défendant l’austérité expansive dans les années 90.

Dans un article de 2013 abondamment cité, il a admis que le FMI et lui-même s’étaient trompés. Comme toutes les grandes institutions à l’époque, ils avaient mal mesuré l’impact des mesures d’austérité en temps de crise. Dans ses nouvelles études, Blanchard trouve des résultats très proches du papier cité plus haut : pas du tout d’austérité expansive. Oops !

Larry Summers,  une autre star de l’économie dominante, a lui aussi publié une étude qui montre les ravages et l’échec de l’austérité en Europe, avec là aussi des résultats très proches de ceux qu’on vous a présentés.

 

Bien d’autres études – d’économistes et même de la Banque centrale européenne – ont été publiées, qui montrent presque toutes que l’austérité a été un désastre. [Pour retrouver les liens, taper les titres et auteurs dans Google Scholar]

 

La position dominante s’est inversée : aujourd’hui, la majorité des économistes reconnaissent que l’austérité ne fonctionne absolument pas après une crise. Il est donc dangereux de resserrer trop tôt les budgets publics.

Aujourd’hui, Blanchard, le FMI et la plupart des économistes dominants sont convaincus que la bonne sortie de crise passe par l’effet multiplicateur de la dépense publique.

Ce concept cardinal de la science économique, on en explique l’importance capitale dans cette vidéo : dépenser plus pour gagner plus. Comment sortir de la crise par le haut ?

Avec la vidéo d’aujourd’hui, elles forment les deux faces d’une même pièce : la pièce des politiques de relance économique en sortie de crise.